Le chanteur et auteur-compositeur jamaïcain Buju Banton n’a pas sorti un album studio depuis près de dix années, depuis son fameux Before the Dawn qui lui avait permis de gagner le Grammy Award du Meilleur Album Reggae de 2011 (Grammy Award for Best Reggae Album 2011). Il semblerait bien que cette année 2020 soit l’année de son grand retour sur le devant de la scène reggae-dancehall. En novembre 2019, l’artiste propose le titre Trust ; en janvier 2020, Murda She Wrote, qui se trouve dans la bande-annonce officielle du film Bad Boys for Life ; en avril, Ganja Man.
En ce mois de mai 2020, Buju Banton s’associe cette fois au chanteur, musicien et acteur états-unien John Legend pour composer le titre Memories. Les deux interprètes n’en sont pas à leur première collaboration musicale : Buju Banton figure en effet dans la liste des artistes invités sur le troisième album studio de John Legend, Evolver, un opus paru en 2008. Ils chantent alors ensemble le morceau aux sonorités reggae intitulé Can’t Be My Lover[1].
Douze années séparent donc Can’t Be My Lover de Memories, mais cette deuxième collaboration offre également le meilleur des deux univers musicaux de Buju Banton et John Legend. L’harmonie recréée ici est rendue possible grâce aux choix créatifs opérés pour ce titre, à la fois en termes de rythmiques et de lyrisme.
Des sonorités singulières
Dès les premières notes de Memories se dévoilent des rythmiques particulièrement reggae. L’intrumentale laisse entendre les percussions familières de ce genre musical, auxquelles se mêlent une guitare basse bien présente ainsi qu’un clavier plus subtil. Ces spécificités permettent à chaque chanteur d’avoir son moment fort, de démontrer son talent artistique et son charisme sur l’ambiance qui lui convient le mieux.
Ainsi, si Buju Banton introduit le morceau, John Legend est celui que l’on entend le plus lors du premier tiers de la chanson. Il utilise la partie résonnante de sa gamme vocale pour une entrée en matière très fluide, assez sexy et charmeuse. Le chanteur, habitué à ce type de démonstrations, use en outre de sa voix de fausset (son falsetto) sur la dernière syllabe du mot “memories” dans le refrain. Il choisit de la sorte d’employer l’entièreté de sa puissance vocale sur Memories, de quoi ravir son auditoire.
Buju Banton, quant à lui, évolue sur un tempo plus saccadé où l’on reconnaît son style de chant déjà populaire sur la scène locale jamaïcaine durant les années 1990 – à titre d’exemple on pourrait citer sa prouesse sur Bonafide Love, un titre en collaboration avec Wayne Wonder, bien que le rythme de Memories soit plus lent. Le chanteur apporte aussi une touche de dancehall à travers son énonciation originale, cette dernière étant accentuée par le choix des figures de style présentes au sein des paroles.
Un discours sentimental
La thématique principale de Memories est le sentiment amoureux. Il est ici question d’un couple séparé depuis quelque temps, et les vers chantés sont ceux de l’homme encore épris de son ancienne partenaire. Buju Banton et John Legend sont les paroliers de ce titre. Ils optent ici pour les champs lexicaux du souvenir, du rêve et des regrets afin d’exprimer un certain désespoir émanant de la difficulté de la relation sentimentale évoquée. Il semblerait que les deux êtres contés dans Memories n’arrivent pas à faire fonctionner leur couple malgré leur amour réciproque.
Le texte possède un caractère poétique indéniable. Des rimes sont présentes, bien sûr, mais c’est particulièrement la figure de style de l’écho sonore qui confère ici à Memories son rayonnement : la répétition de voyelles spécifiques à chaque vers crée un effet sonore particulier. Ainsi dans son premier couplet John Legend propose une alternance des sons [ɑ], [oʊ], [u], [ɔ] et [ʊ][2] induisant une expérimentation lyrique du texte. La globalité de la chanson est composée de cette manière.
I guess I’m not over you
Like I thought I was
Guess I was foolin’ myself
’cause I’m still in love
Still in love with you woman
I still have dreams of you and I
Can’t get over you woman
No matter how I try
Je présume que je suis encore attaché à toi
Contrairement à ce que je pensais
Je suppose que je me trompais…
Car je suis encore amoureux
Toujours amoureux de toi femme
Je rêve encore de toi et moi
Je ne peux pas t’oublier femme
Peu importe à quel point j’essaie
Un tour de force américano-jamaïcain
Memories permet en somme à ses interprètes d’agrandir encore leur communauté de fans déjà importante : cette chanson tire sa grande force de pénétration de son atmosphère liant parfaitement les univers musicaux originels des deux chanteurs. Buju Banton et John Legend jouent en outre sur la corde sensible de leurs auditeurs avec des paroles décrivant une relation sentimentale où les émotions sont à vif, une situation à laquelle beaucoup pourraient d’identifier. Ce titre est ainsi annonciateur de nouvelles compositions minutieusement concoctées.
La sortie de Memories s’inscrit par ailleurs dans un contexte international particulier. Il serait ainsi intéressant d’observer les prochains albums à paraître des deux chanteurs : Buju Banton devait sortir son nouvel opus au mois d’avril 2020 (la parution de Upside Down 2020 a été reportée à une date ultérieure en raison de la pandémie de COVID-19) ; John Legend a annoncé la sortie de Bigger Love le 19 juin 2020[3].
Notes
- ↑ John Legend featuring Buju Banton. Can’t Be My Lover in YouTube. 28 octobre 2018. URL : https://www.youtube.com/watch?v=Qj5a6tzASHE
- ↑ Le tableau de l’alphabétique phonétique international (IPA) permet de lire les différents sons de la langue anglaise. URL : https://en.wikipedia.org/wiki/Help:IPA/English
- ↑ Rania Aniftos. John Legend’s ‘Bigger Love’ Album Gets a Release Date in Billboard. 13 mai 2020. URL : https://www.billboard.com/articles/columns/pop/9377268/john-legend-bigger-love-album-release-date