Les Filles au lion de Jessie Burton, une réflexion sur la perception d’une œuvre artistique

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Écrivaine anglaise née en 1982 et diplômée de l’école de théâtre The Royal Central School of Speech and Drama de Londres, Jessie Burton est l’auteure d’un premier roman sorti courant 2015 simplement intitulé Miniaturiste dans l’édition française, un ouvrage qui lui permet d’acquérir une notoriété certaine. Suite à ce succès si fulgurant que l’écrivaine n’attendait pas, elle choisit de s’intéresser dans son deuxième roman à la notion de réception de l’œuvre et la place de celui ou celle qui en est l’auteur.e. Les Filles au lion, traduit de l’anglais vers le français par Jean Esch, est ainsi une œuvre empreinte d’une douce émotion donnant en outre à réfléchir sur la position des femmes dans le monde artistique, avec un regard tourné vers la guerre civile espagnole et les années 1960 au Royaume-⁠Uni.

Un besoin de reconnaissance… opposé au désir de renonciation

Jessie Burton plonge son lecteur au cœur de deux périodes historiques différentes séparées d’une trentaine d’années. On y retrouve deux personnages féminins forts, Odelle et Olive.

Odelle est une jeune femme originaire de Trinidad qui découvre la ville londonienne au début des années 1960. Elle rêve d’écrire et jouer des mots, elle invente des poèmes, et compose des textes dans son intimité en espérant qu’un jour elle puisse vivre de son art. Après cinq années à travailler en tant que vendeuse de chaussures aux côtés de son amie Cynth, Odelle décroche un travail de dactylographe dans une galerie d’art prestigieuse. Elle y rencontre Marjorie Quick, une femme excentrique, énigmatique et pointilleuse au goût pourtant raffiné.

Olive est une jeune femme originaire d’Angleterre qui découvre le village d’Arazuelo en Espagne en 1936. C’est une brillante artiste dont le talent, sous-estimé par son père Harold, pourtant marchand d’art reconnu, et sa mère Sarah, ne demande qu’à être exposé. Son rapport avec la peinture s’intensifie alors qu’elle rencontre Isaac et Teresa, deux jeunes d’Andalousie venus prêter main-forte à sa famille. Isaac est un artiste peintre pragmatique aux idées révolutionnaires qui recherche des fonds pour mettre à exécution son plan d’action politique.

Un tableau représentant deux femmes et un lion majestueux fait sa réapparition à Londres en 1967. Il s’agit d’un tableau dit magnifique, teinté de feuilles d’or ; c’est un tableau qui, selon Odelle, doit avoir une grande valeur.
Au moyen de cette double narration, l’histoire de cette œuvre se dévoile peu à peu. Le lecteur pénètre alors dans le monde tant convoité de l’Art avec un grand « A ». Il est ici question de peinture et d’écriture, mais aussi d’appropriation et de reconnaissance. Jessie Burton interroge : Comment juger une œuvre ? Doit-on la dissocier de son auteur afin que celle-ci puisse mener sa propre existence, une existence juste, dépourvue d’a priori ?

Au sein de l’intrigue des Filles au lion se mélangent amour, orgueil, sentiments et attentes. L’écrivaine réussit à captiver son audience peu importe le temps de son énonciation. Ainsi, le lecteur souhaite autant connaître l’histoire de ce tableau au passé mystérieux, que comprendre les ressentiments d’Odelle, ou vivre la passion d’Olive, et déchiffrer l’énigme que représente Marjorie Quick. Ces trois femmes, liées par la force des choses, sont chacune à un croisement de leur vie, à un point déterminant quant à leur avenir.

Le lecteur est également invité à vivre aux premières loges le climat de tension propre aux prémices de la guerre civile espagnole des années 1930. On devine le danger imminent, on ressent les frictions et l’on assiste impuissant aux violences qui immergent. Ce roman est parfaitement orchestré, de telle sorte que l’on perçoive une esquisse des événements avant de réellement en discerner l’intensité.

Une grande attention est portée aux couleurs au sein de l’intrigue. Jessie Burton offre ici une pluralité de réflexions sur l’art en général. Elle décrit minutieusement les œuvres qu’elle évoque, avec un regard attentif et une affection singulière. Le lecteur peut ainsi se représenter physiquement certaines pièces d’art et imaginer l’émotion qu’elles dégagent. Ce monde imaginaire est délicatement suggéré grâce aux différentes notes de l’auteur.

Les Filles au lion propose ainsi une lecture rafraîchissante. Il s’agit d’un roman accessible grâce à l’écriture fluide et précise de son auteure. Son dénouement est poétique, aérien. L’histoire contée est singulière dans son entièreté et permet la découverte de personnages au fort caractère. Leur détermination et leur courage sont assimilables aux qualités que l’on prête au lion de manière symbolique.

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