Ceux qui restent est un roman graphique proposé par les artistes Josep Busquet et Alex Xöul traduit par Karine Beuzelin. Cette bande dessinée paraît au mois de mars 2018 aux éditions Delcourt.
Josep Busquet et Alex Xöul sont deux scénaristes et illustrateurs de bandes dessinées originaires d’Espagne. Ils étudient les arts graphiques à la Escola Joso de Cómic y Artes Visuales de Barcelone ; et ont travaillé ensemble sur de nombreux projets notamment pour des maisons d’édition et des magazines espagnols. Josep Busquet est aussi publié chez Delcourt en tant que scénariste de la série L’Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde aux côtés de Pere Mejan et de Sanvi, une série de deux volumes parus en 2011 et 2012.
Pense-t-on seulement un instant à ceux qui restent ? À ce qu’ils doivent endurer ?
Tout le monde connaît ces histoires… Celles des enfants qui sont appelés à combattre, à s’aventurer dans des mondes magiques aux créatures fantastiques lors d’une douce nuit étoilée à la lune majestueuse. On sait tous que ces enfants vont vivre de grandioses épopées, surmonter des épreuves toujours plus dangereuses et vaincre les méchants de la manière la plus héroïque qu’il soit. On sait à quel point, pour ces peuples de lumière, les agissements de ces enfants auront un impact bénéfique sur leur quotidien ébranlé… Mais ce que l’on ne sait pas, c’est comment ces histoires en or peuvent détruire les parents de ces enfants et peuvent briser les familles les plus banales. C’est l’envers de ce décor féerique que Josep Busquet et Alex Xöul proposent de découvrir avec Ceux qui restent.
Ben Hawkins est un garçon comme les autres, vit avec ses parents Edward et Susan. Un soir alors que chaque membre de cette famille s’est gentiment assoupi grâce au moelleux de ses draps, une créature étrange se rend au chevet de Ben. Cet être, un wumple du royaume d’Auxfanthas, lui formule une requête surprenante : est-ce que Ben pourrait se joindre à lui pour venir en aide aux siens ? Selon ses dires, seul Ben aurait le pouvoir de les guérir de leurs maux. Le jeune garçon accepte instantanément et s’envole pour une destination incroyable. Le lendemain matin, au réveil des parents, un véritable cauchemar commence. Edward et Susan se rendent vite à l’évidence. Ben a disparu.
Défilent alors tour à tour enquêteurs, journalistes et voisins chez les parents tourmentés. À chaque fois, Edward et Susan doivent alors répéter la même rengaine : « Oui, ils sont certains que Ben a été se coucher normalement », « Non, le petit n’a jamais fugué », « Bien sûr qu’il était heureux avec eux » et « Jamais ils n’auraient pu faire le moindre mal à leur fils ». Il est pourtant difficile de convaincre l’opinion publique car les jours passent sans que Ben ne daigne réapparaître. De plus, selon les avancées de l’enquête en cours, la maison familiale ne porte aucun signe d’effraction. Aucune empreinte digitale étrangère n’a été retrouvée et aucune rançon n’a été réclamée.
Plus les semaines passent, plus les insinuations sont blessantes à l’encontre des époux Hawkins. Leur entourage est intraitable. Il est de plus en plus rude pour eux de surmonter les médisances qui s’ajoutent à la peine causée par l’absence terrible de Ben dont ils ne soupçonnent pas la formidable aventure. Existe-t-il seulement des gens capables de comprendre leur douleur ?
Un envers de l’histoire féerique insoupçonné
Ceux qui restent est une bande dessinée extrêmement originale. De manière totalement insolite, Josep Busquet et Alex Xöul imaginent l’aventure d’un enfant dans un pays fantastique du point de vue de ses parents. Cette focalisation de la narration est à la fois pertinente et périlleuse. Ainsi ce roman graphique n’explore pas les fins fonds d’un monde merveilleux doté d’êtres fabuleux mais permet de découvrir le sombre quotidien dans lequel sont plongés les parents de l’enfant disparu. Le lecteur vit avec eux leur souffrance, leur peine et leurs espoirs souvent dégoûtés. Il compatit à la douleur de ses êtres de papier dont le désespoir est réellement palpable.
Cette bande dessinée traite de différentes problématiques : le manque causé par une perte humaine, le désespoir des parents d’enfants disparus, l’accaparement dénaturé de l’actualité par les médias, le besoin de croire en l’accomplissement d’une quête vaine, la résolution inéluctable face aux aléas de la vie et la confirmation imaginaire d’un parti pris préféré. Les auteurs de Ceux qui restent exposent les dangers des actes égoïstes en une trame générale assez sinistre. Le scénario imaginé par Josep Busquet est minutieusement ficelé, et le ton final donné par les deux créateurs de cette bande dessinée est rationnel quoique quelque peu austère.
La patte graphique de l’illustrateur Alex Xöul est appréciable. Une très grande attention est portée aux détails de chaque pièce. Des touches de lumière semblent éclairer les différentes vignettes. Aussi, les nuances de couleur utilisées ici sont très douces, elles oscillent entre le bleu et le doré, presque de façon « atténuée ». Aucune couleur vive n’est jamais intégrée. Les traits de visage des personnages sont subtils : peu de lignes les composent véritablement, les zones d’ombre sont en revanche bien étudiées ce qui accentue le relief facial. Les expressions sont quant à elles très nettes.
En définitive, Ceux qui restent offre une lecture captivante. Ses auteurs exposent ici l’envers des purs moments de joie vécus par les enfants envolés vers des horizons fantastiques, le déplaisir des parents de ces enfants qui attendent un retournement de situation qui tarde toujours à venir.