D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un couple est considéré infertile en cas d’absence observée de grossesse malgré des rapports sexuels non protégés sur une période égale ou supérieure à douze mois. Cette difficulté à concevoir un enfant concernerait environ un couple sur quatre à six selon l’Enquête nationale périnatale (ENP) et l’Observatoire épidémiologique de la fertilité en France (OBSEFF)[1]. Mais s’il s’agit d’une situation connue par de nombreux·ses Français·es aujourd’hui, la question reste encore taboue et beaucoup souffrent en silence au sein d’une communauté peu tolérante à l’égard des personnes infertiles.
Dans sa bande dessinée intitulée Un bébé si je peux, Marie Dubois, illustratrice et réalisatrice de documentaires télévisuels, décrit l’invisibilité de l’épreuve d’infertilité dans notre société – ce que cette lutte quotidienne représente pour un couple qui s’aime et dont le désir d’enfant est grand, à savoir une réalité mésestimée de tous.
Une imperceptible souffrance
L’histoire de Marie et son compagnon c’est d’abord l’histoire classique d’un couple trentenaire qui rêve de fonder une famille. Elle et lui ont un travail, une vie sociale équilibrée et des passions qu’ils assouvissent. Ensemble ils prennent la décision d’arrêter tout moyen contraceptif et espèrent qu’ils seront bientôt comblés par la présence d’un « petit bébé joufflu ». Seulement, le temps passe et rien ne se produit.
Après six mois de tentatives infructueuses, Marie et son compagnon consultent une gynécologue qui en premier lieu les rassure sur leur fertilité : ils sont jeunes, n’essaient pas depuis si longtemps, alors en optimisant leurs rapports sexuels, notamment aux périodes d’ovulation de la femme, « ça va venir ». Mais malgré l’adoption des conseils de cette spécialiste, les mois continuent de défiler sans que Marie ne tombe enceinte. Et après un an de tentatives infructueuses, « le mot est lâché » : le couple est considéré « infertile ».
Marie Dubois retrace à partir de là le parcours invisible de celles et ceux qui désirent un enfant sans parvenir à le concevoir. Elle dépeint précisément la phase de recherche des possibles causes de la non-grossesse de la femme – à ce titre, elle insiste d’ailleurs sur la multitude de tests nécessaires à celle-ci pour évaluer sa fertilité (bilan hormonal, bilan sérologique, dosage de l’hormone anti-müllérienne, hystérosalpingographie, échographie pelvienne…) quand pour l’homme un seul spermogramme suffit – et la phase de découverte des possibles solutions que l’on peut apporter à cette impasse. Elle évoque aussi le coût que représente ce combat, et témoigne surtout, malgré un humour fin sur la question, de la culpabilité intime qui touche ces êtres : une culpabilité encore accentuée par le regard d’autrui.
Un regard sociétal
Car s’il est quelque chose de frappant au sein d’Un bébé si je peux, c’est bien l’intrusion de l’extérieur dans la sphère privée de ce couple sans enfants. Marie Dubois souligne à cet égard l’invariabilité des questions qui sont posées à la jeune femme – des questions maladroites telles que « Bon et toi alors, tu t’y mets quand ? » ou « Et toi, ça te dit pas ? » – et la ténacité des préjugés des proches quant au pourquoi de cette infertilité – des proches proposant des solutions telles que « Il faut dire stop au stress » ou « Il suffit d’arrêter d’y penser ». Elle rappelle en outre l’importance des choix des mots : où l’infertilité n’est pas la « stérilité » ; où l’infertilité n’est pas, quoi qu’on en dise, un « refus inconscient de la féminité » comme le pensent certain·e·s scientifiques.
Marie Dubois traite ensuite tout particulièrement de la notion d’horloge biologique et insiste sur la pression sociétale qui existe autour de celle-ci. Dans nos sociétés occidentales, il est idéalement souhaité qu’une femme choisisse de tomber enceinte avant ses trente-cinq ans, à la fois pour des raisons politiques voire démographiques, mais aussi parce que son corps, il est vrai, serait mieux préparé à une grossesse. Seulement, comme le met si bien en évidence la journaliste-illustratrice céans, de nombreux éléments exogènes ne sont pas considérés par la bien-pensance collective : parmi eux, de manière non-exhaustive, la durée des études retardant le début de la carrière professionnelle, la carrière professionnelle entravant parfois le projet d’enfant, la situation sentimentale jugée non-adéquate (notamment le manque de partenaire), ou encore, plus simplement, le désir d’une femme d’avoir pleine emprise sur son corps.
S’appuyant sur maintes études, par ailleurs citées, et sur les réflexions de grand·e·s spécialistes de la reproduction, Marie Dubois nous dresse alors un état des lieux de l’infertilité dans le monde. Elle précise ici quelles en sont les raisons hypothétiques pour la femme et pour l’homme, où en est la recherche médicale, et quels sont les chiffres associés à cette difficulté de concevoir ; elle explicite en outre, au moyen d’illustrations analytiques, l’évolution des mœurs de nos sociétés quant à la parentalité. Il apparaît du reste que près de 25 % des cas d’infertilité sont encore inexpliqués à ce jour[2].
Un parcours du combattant
Alors quelles solutions pour les personnes infertiles désireuses d’avoir un enfant ? Marie Dubois détaille minutieusement au sein d’Un bébé si je peux les éventuels « recours » d’un tel couple, notamment ce que l’on appelle communément la « PMA », la procréation médicalement assistée. Deux options distinctes sont envisageables en matière de PMA : l’insémination artificielle et la fécondation in vitro. Chacune de ces méthodes est ici étudiée selon son taux de réussite, son coût et son nombre de tentatives comprises. Associant cet « univers » de la procréation médicalement assistée à celui d’un jeu virtuel, employant de sorte une métaphore illustrée sur le résultat aléatoire de ces pratiques, Marie Dubois témoigne en somme de l’insuccès possible de ces solutions. Elle nous raconte son parcours vrai, semé d’embûches, où la réussite ne dépend pas que du bon vouloir des « joueur·se·s ».
Il nous est ainsi révélé que Marie souffre du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK, aussi appelé PCOS, de l’anglais Polycystic ovary syndrome), une pathologie identifiée comme la première cause d’infertilité féminine, touchant une femme sur dix en France[3]. Une fois son diagnostic établi, elle essaie de prime abord de réguler ses cycles au moyen de cachets, et tente en parallèle l’acupuncture, l’hypnose, l’ostéopathie, le tai-chi et la bioénergie, avant de se tourner vers la PMA. On découvre dès lors la lourdeur administrative de ces solutions assistant médicalement les couples, mais aussi le poids de ce qu’elles impliquent dans le quotidien de ces derniers : stimulation hormonale, élimination des toxines présentes dans l’organisme (alcool, tabac…), échographies répétées, sautes d’humeur liées à la prise d’hormones… On découvre surtout, et c’est probablement le lieu de départ d’une autre réflexion, que la PMA n’est pas « miracle » : elle ne garantit pas à coup sûr la grossesse d’une femme. Nombreuses sont celles qui endurent chacune de ces épreuves sans parvenir à tomber enceinte.
Dans le cas de Marie et son compagnon, ce difficile combat connaît toutefois une fin heureuse, bien que cette dernière n’arrivant qu’après quatre inséminations artificielles et une fécondation in vitro : au total, près de sept années d’une inqualifiable attente, d’un invisible déchirement.
Un appel à la tolérance
Ainsi, dans sa bande dessinée intitulée Un bébé si je peux, Marie Dubois, à la fois enquêtrice et scénariste-dessinatrice, traite avec sensibilité et bienveillance de l’infertilité. Elle développe à partir de son expérience intime et le témoignage de nombreux couples infertiles une réflexion approfondie sur la difficulté à concevoir dans nos sociétés, en s’interrogeant sur des thématiques comme l’amour, les violences gynécologiques, la bioéthique et la présence de perturbateurs endocriniens ; puis décrit les solutions de procréation médicalement assistée ainsi que leurs coûts – émotionnel et financier. Si son ouvrage apporte immanquablement des réponses aux personnes infertiles, il paraît pourtant tout autant s’adresser aux « autres », aux personnes qui négligent le poids de leurs mots quant à cette question, qui s’imaginent la fécondité de l’ordre du mental et qui accompagnent, souvent maladroitement, le parcours de proches infertiles. Marie Dubois invite finalement les membres de nos sociétés à plus de tolérance envers les personnes souffrant d’infertilité.
Ci-dessous la vidéo présentant l’œuvre de Marie Dubois.
Notes
- ↑ SLAMA (Rémy), DUCOT (Béatrice), KEIDING (Niels), BLONDEL (Béatrice), BOUYER (Jean). La Fertilité des couples en France in Santé publique France. 2012. N°. 7-8-9, p. 87-91. Consulté le 14 juin 2021. URL : https://www.santepubliquefrance.fr/docs/la-fertilite-des-couples-en-france
- ↑ VAIMAN (Daniel), MULTIGNER (Luc), BINART (Nadine). Infertilité : Des difficultés à concevoir d’origines multiples in Inserm. 19 septembre 2019. Consulté le 15 juin 2021. URL : https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/infertilite
- ↑ GIACOBINI (Paolo). Syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) : Un trouble fréquent, première cause d’infertilité féminine. 27 août 2019. Consulté le 15 juin 2021. URL : https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/syndrome-ovaires-polykystiques-sopk