Écrivaine française née en 1962, Marie-Hélène Lafon compose une œuvre littéraire singulière dont on ne peut nier la littérarité. Cette romancière, nouvelliste et essayiste prête en effet une grande attention à la linguistique et peaufine soigneusement l’esthétique de ses textes. C’est nul doute une des raisons pour lesquelles elle choisit en tant qu’épigraphe de son dixième roman intitulé Histoire du fils une citation de Valère Novarina sur l’écriture comme matière organique, malléable : « Le langage est notre sol, notre chair. Je me représente toujours le chantier comme un creux, une ouverture du sol, et l’avancée d’un texte, sa progression, comme une marche en montagne. »
Marie-Hélène Lafon explore dans ce dernier roman les silences et non-dits d’une famille au moyen d’une énonciation fragmentée, mêlant le point de vue de différents personnages et jouant sur les ellipses temporelles. La langue est ainsi essentielle dans la compréhension de l’« histoire » que nous conte l’écrivaine : c’est elle qui révèle avec subtilité et force les émotions des anti-héros du roman ; c’est elle, aussi, qui décrit sensoriellement l’espace dans lequel se dessine l’intrigue et qui, de cette façon, insuffle un certain réalisme à l’œuvre.
Une langue au cœur de l’émotion
L’intrigue d’Histoire du fils pourrait être sommairement résumée comme suit : une mère, Gabrielle, décide de laisser son fils, André, à sa sœur, Hélène, se jugeant incapable de l’élever au moment de sa naissance. Si cet argument élémentaire souligne les prémices d’une traditionnelle saga familiale, Marie-Hélène Lafon s’en émancipe toutefois par son choix d’énonciation non-chronologique, exempt de dialogues, offrant de sorte une vue globale sur cette lignée : chaque « chapitre » du roman correspond à une date dans le temps, et la focalisation de la narration est chaque fois différente. Cette structure littéraire permet un regard sur les sentiments de tous les personnages concernés par le nœud de l’affaire.
André Léoty, le fils donc, grandit à Figeac aux côtés d’Hélène et Léon, ses parents d’adoption, et ses trois cousines, les enfants du couple. Sa mère de sang, Gabrielle, vient de Paris deux fois par an lui rendre visite chez Hélène, quatre semaines en tout. Son père est, lui, absent. En 1934, André a dix ans et se pose beaucoup de questions sur le monde. Il tient Gabrielle à distance ; il souhaiterait que cette femme au « parfum de Paris », un parfum des arrivées et des départs qu’il qualifie de « dur », ne passe pas l’été avec eux. André a toujours su que la surnommée Gaby est sa mère, mais aurait préféré qu’Hélène et Léon soient ses « vrais parents », ses cousines, ses « vraies sœurs ». Perspicace, le garçon déduit de l’arrangement atypique des sœurs Léoty que son « père inconnu » ne peut être de Figeac car à Figeac, tout se sait toujours – Marie-Hélène Lafon ponctuant là de la singularité des petites communes françaises, où toute nouvelle circule sans relâche. L’écrivaine emploie du reste à cette date un langage qui possède les marques de l’enfance, imprégné des déductions que doit faire André face au mur de silence qu’on lui impose. L’enfant se figure d’ailleurs que peut-être est-il lui aussi « inconnu » pour son père biologique.
En 1950, André a vingt-six ans et est sur le point de se marier mais ne sait toujours pas comment s’y prendre avec sa mère : « Tout glissait sur Gabrielle. Elle n’était ni hostile, ni fermée, mais elle échappait, on ne savait pas comment l’atteindre. » Le jour de sa cérémonie nuptiale, il apprend de sa jeune épouse Juliette, à qui Gaby aurait décidé de tout révéler, qui est son père : Paul Lachalme.
Paul Lachalme nous est en réalité introduit (à « nous », lecteur·rice·s) bien avant André Léoty. Marie-Hélène Lafon démarre son roman à Chanterelle en 1908, selon le point de vue d’Armand Lachalme, frère jumeau de Paul. Armand est un garçon de cinq ans attentif au monde. Pour lui, les odeurs, les couleurs et les sonorités sont d’une grande importance. Il associe volontiers les êtres de son entourage à une variation de lumière, une ambiance ou une effluve. Paul, qui n’est pas son frère préféré, sent par exemple le vent, la « lame froide des couteaux » ; Georges, son puîné, la confiture. Armand pressent aussi beaucoup de choses : il devine la blessure enfouie de la tante Marguerite, célibataire et sans enfants, dont « la tristesse traverse [la] peau » ; il sait la crainte que suscite le père, que l’autorité de cet homme est incontestée dans le cercle familial – « les colères du père sont comme l’orage et le tonnerre, la maison tremble, la terre tremble, c’est la nuit en plein jour ». Mais c’est bientôt le drame et Armand se retrouve « supplicié ». Paul Lachalme grandit donc avec cette « plaie vive », ce « douloureux épicentre » et se forge un caractère de fer.
En 1919, Paul et son frère Georges sont à l’étude dans un lycée d’Aurillac. Ils y apprennent le latin, notamment les œuvres poétiques pastorales de Virgile – ce qui a pour don de ravir leur mère et leur tante, elles qui n’ont jamais reçu ces enseignements bien que le latin soit couramment usité par l’Église. Paul se retrouve à seize ans déçu de ne pas avoir pu faire la guerre, « rendu à son état d’enfance » puisqu’il ne peut vivre en héros, évoluant malgré lui dans un internat où il doit « tenir son rang » car les Aurillacois ne font pas de cadeau aux gens de Chanterelle comme lui. Paul est impatient : impatient de « quitter cette honte molle de l’arrière » ; impatient d’être considéré avec soin par les femmes de son entourage ; impatient, surtout, de pouvoir « toucher » une fille (malheureusement celles d’où il vient sont inaccessibles, « gardées comme des reliquaires », ça se saurait trop vite). Paul a envie d’être un vrai mâle, d’être un « André », un « homme qui bande ». Paul est aussi un adolescent éloquent, sûr de ses qualités, bravache, mais craignant le froid. Il se retrouve d’ailleurs à l’infirmerie où il est soigné par une certaine « G. Léoty », trentenaire pas farouche qui ne semble pas insensible à ses qualités.
Pour mieux comprendre les prémices de cette relation interdite, Marie-Hélène Lafon nous mène, quelques chapitres plus loin, en 1923, au moment où Gabrielle se découvre enceinte. On apprend céans que cette femme apparaît depuis toujours comme le « vilain petit canard » aux côtés de sa sœur Hélène ; sa mère, déjà, pressentait son « irréductible volonté d’indépendance ». Gabrielle n’a en effet jamais souhaité d’une vie rangée, a toujours préféré rester « libre » et n’envie pas la « conjugalité limpide » de sa « parfaite sœur ». Elle est « née peut-être trop tôt », écrit subséquemment la romancière, c’est-à-dire avant mai 1968, avant les révoltes féministes, avant que les femmes ne passent elles aussi le permis. Gabrielle veut s’affranchir de la gent masculine et tient à travailler pour se nourrir. Du reste, elle a toujours préféré les hommes qui lui résistent, les « flamboyants », les « flambeurs », les « fulgurants » auxquels elle pourrait bien se brûler. Elle démarre ainsi une liaison qu’elle sait dangereuse avec Paul Lachalme. Elle et lui ont seize années de différence et se rencontrent quand Paul n’a que seize ans. Mais Gabrielle a toujours transgressé l’ordre et Paul a toujours été impatient, ambitieux et sauvage. Plus tard, et bien qu’il ait d’autres femmes à ses pieds, Gabrielle suit son amant à Paris, une ville qui lui correspond mieux puisqu’« elle n’avait jamais eu le goût de la campagne ; la bucolique l’ennuyait » et là, à Paris, « on ne la [juge] plus, on ne la [jauge] plus ». Elle tombe enceinte.
À chaque nouvelle date explicitement donnée, Marie-Hélène Lafon consolide son histoire en nuançant les ressentiments de ses personnages. De prime abord, chacun d’entre eux, par l’expression d’une focalisation interne, propose sa vérité et ses émotions face à la situation qui lui incombe (André, l’absence du père ; Hélène et Léon, l’éducation d’André ; Gabrielle, le rejet de son être ; Paul, l’injonction de réussir). Mais chacun d’entre eux dévoile aussi ses failles, une réalité difficile allant parfois à contre-courant de ce qui a pu être énoncé par ailleurs. À titre d’exemple, André, certain de la « belle vie » que mène Gabrielle à Paris, réalise tard son erreur… Rien n’est moins simple que cette « histoire du fils » et c’est finalement le travail de la langue par l’écrivaine qui permet de mieux en appréhender la complexité. Marie-Hélène Lafon s’amuse des registres de langue selon l’âge du protagoniste qu’elle décrit, allant du plus familier au plus soutenu, de l’innocent au moins crédule. Ses phrases sont parfois longues, soulignant l’emballement de la pensée de l’être qui rend indirectement compte de son expérience. Certains reproches, notamment quant au comportement de Gabrielle, sont répétés (prétendument énoncés par ses propres parents, ceux de Léon, les gens du quartier…), donnant pleine mesure de l’inconvenance de ses agissements de « femme libre » pour l’époque – à cet égard, on peut aussi noter l’irrespect avec laquelle Paul traite de l’épouse indépendante de Georges, qu’il aurait préférée telle une « oie bien blanche, courte d’idées et richement dotée » ; sans doute une pensée populaire d’antan. Les choix stylistiques de Marie-Hélène Lafon sont au service de l’émotion.
Une langue au gré de l’espace-temps
L’intrigue d’Histoire du fils se déroule dans un cadre spatio-temporel bien défini. On parcourt ici un siècle d’« histoires » nécessairement liées à la Grande Histoire puisque ce roman démarre en 1908 avec Armand Lachalme et se termine en 2008 avec Antoine Léoty, fils d’André et Juliette. De sorte, en filigrane des événements principaux se rapportant à la véritable « histoire du fils », Marie-Hélène Lafon note subtilement l’incidence qu’a pu avoir le contexte sociétal, politique et historique sur les décisions de vie de ses personnages. Paul aurait aimé avoir l’opportunité de devenir un « héros » lors de la Première Guerre mondiale, mais avait été trop jeune pour être enrôlé et s’est retrouvé « impuissant » au moment de la proclamation de l’Armistice. Silvia, « réfugiée du Nord qui était peut-être juive », femme qu’a côtoyée André avant Juliette, est « restée sans nouvelles » de son frère dès octobre 1940, avant d’elle-même disparaître en 1944. L’année suivante, la guerre se termine mais, nous renseigne le narrateur, « relents et miasmes saturent l’air et la paix ne sent pas bon ». André est un « héros », résistant ; Paul a fait les « mauvais choix » et « [tente] de se faire oublier en Sologne ». En 2008, alors qu’Antoine est de retour sur ses terres ancestrales, le tiret des pierres tombales qu’il observe au cimetière est rapproché du « tiret du six [des] claviers français », indice de l’omniprésence des ordinateurs dans la vie courante du XXIe siècle. Ces éléments secondaires quant au cœur de l’intrigue décrivent néanmoins une réalité précise que Marie-Hélène Lafon s’applique à étayer. Les expressions utilisées par l’écrivaine aux dates du début du siècle dernier sont d’ailleurs souvent empruntées au vocabulaire désuet de la langue française – citons en guise d’illustrations les mots « entours » ou « extrace ».
Aussi, plusieurs localités de France sont ici renseignées avec une extrême acribie. Née à Aurillac dans le département français du Cantal mais exerçant longtemps à Paris en tant que professeure de lettres, Marie-Hélène Lafon connaît bien ces deux régions qu’elle dépeint avec méticulosité dans son roman. Avant de nous intéresser pleinement à la langue de l’écrivaine, notons que ce sont les rivalités entre habitants de ces régions françaises qui nous sont présentées en premier lieu. Chanterelle, commune cantalienne d’où sont originaires Paul et Georges Lachalme, est souvent moquée des Aurillacois ; seule « la ville », selon ces derniers, possède des lettres de noblesse. C’est pourtant bien Chanterelle qui est assimilée en ce texte à un « royaume » ; son doux nom inspire « magie » et « miracles » à l’étrangère, et peut-être qu’en définitive, les Aurillacois reconnaissent la valeur de ce « haut pays » sans se l’avouer : « le pays bas ne saurait se départir tout à fait d’une sorte d’admiration sourde, mâtinée de crainte » pour les gens de ces contrées. Figeac, commune lotoise où grandit André (le Lot partageant ses frontières avec le Cantal), jouit d’une population moindre à l’image de Chanterelle : c’est un lieu où tout se sait, où le « père inconnu » de ce « fils inconnu » aurait vite été démasqué.
Marie-Hélène Lafon s’applique de cette manière à écrire la poésie de ces territoires mésestimés, ces « menus recoins des pays oubliés ». Les jardins sont alors des mondes de « lumière » aux arbres féconds ; leurs fruits servent aux confitures faites maison, des compotées sucrées qui seront bientôt savourées par des enfants pour qui « c’est l’été pour toujours ». La romancière confronte de bon gré la ruralité de ces « campagnes » à la rudesse de la capitale. Paris est un « terrain miné », c’est le « territoire de Gabrielle et ses fantômes » ; André refuse par conséquent de montrer de la déférence à son égard. Paris subit aussi un « froid humide de février » quand le « printemps [pointe] » déjà dans le Lot. Paris incarne enfin les silences et les non-dits, en tant que ville aussi lointaine et distante que peut l’être Gabrielle, insaisissable, quand a contrario Chanterelle est personnifié, est rendu vivant – Chanterelle est un « pays pentu, bourru, caparaçonné de neiges interminables », ayant donc ses propres humeurs et la capacité de s’habiller d’un manteau blanc (d’un « caparaçon » poudreux) ; Chanterelle est aussi « trop à nu », « trop frontal » pour que l’on puisse s’y cacher. Le nom de la « Santoire » est attribué à la lignée maternelle d’Armand, Paul et Georges : c’est le nom d’« eaux vives et têtues » de la région où l’« on se [baigne] volontiers ». La rivière représente ainsi en quelque sorte la mère ; la nature est ainsi nourricière.
Histoire du fils offre également à ses lecteur·rice·s une immersion sensorielle : on devine en ce roman l’ambiance des lieux décrits par Marie-Hélène Lafon, notamment à travers les senteurs évoquées, les couleurs inventoriées, les variations de lumière remémorées. Chaque tableau se tient dans un cadre atypique, au cours d’une saison donnée subtilement esquissée. Et les personnages de ces tableaux profitent par inadvertance de leur environnement. De ce fait, un lyrisme certain infuse la langue de l’écrivaine.
Le crépuscule est mauve, les bourgeons de certains marronniers éclatent déjà, et leur vert acidulé, presque surnaturel, troue la pénombre. André et Juliette flottent dans le soir et se laissent bercer par le bruissement continu de la ville, son flux et son reflux, la circulation sur le boulevard, les bus et les voitures lancés sur la place, toute une chorégraphie ordinaire […].
Une langue au service de l’intrigue
Si le premier « chapitre » d’Histoire du fils se termine par le « cri déchiré » d’un enfant, c’est pourtant un silence assourdissant qui caractérise l’entièreté de ce roman. La majeure partie des unités narratives renseignent ici sur la profondeur du surnommé « gouffre de Padirac », le « trou du père », c’est-à-dire sur l’absence de Paul Lachalme dans la vie d’André Léoty. Marie-Hélène Lafon, proposant tout le long de son énonciation une série de focalisations internes, ne présente chaque fois à ses lecteur·rice·s que le savoir du personnage qu’elle décrit à l’instant t. Gabrielle est la seule à connaître l’identité du géniteur de son fils avant 1950 ; ainsi, par ce choix de représentation narrative, l’écrivaine illustre le poids du secret de Gaby, un poids qui semble prééminent sur toute autre émotion ressentie par les protagonistes concernés par l’affaire, en particulier André. D’autres unités concernent directement le silence qui suit le « supplice » du petit Armand. L’omission volontaire des membres de sa famille quant à son malheur creuse pourtant les mémoires et n’empêche pas, de sorte, les réminiscences de son frère jumeau (bien que ce dernier ne « [prononce] jamais [son] prénom ») et de son frère puîné (qui, lui, décide des années plus tard de nommer son deuxième enfant du même prénom).
Marie-Hélène Lafon nous donne, par ailleurs, à entendre, moult fois, le « bruit du silence » dans sa prose. Dans l’exemple suivant, il ne fait nul doute que Gabrielle vit seule, et la pièce qu’elle occupe semble redoutablement paisible.
Gabrielle se lève, vide le cendrier, le lave avec soin et rince longuement son verre à liqueur. Son petit appartement est nu et douillet à la fois, elle pourrait n’en jamais sortir. Dans ses quarante mètres carrés, rien ne lui résiste, ni ne la déçoit, ni ne la trahit. Elle décide de tout. Chaque chose est à sa place, reste à sa place, le cendrier et le verre du service à liqueur retrouvent la leur. Dans la cuisine jaune, Gabrielle appuie son front contre la vitre froide ; personne dans la rue, les gens sont chez eux, en famille.
Aussi, la non-linéarité des péripéties du roman – la discordance entre la chronologie des événements présentés et l’ordre dans lesquels ils nous sont contés – permet de mieux mesurer la raison des tentatives échouées des personnages ; et les ellipses, nombreuses, font ressortir contradictions et parallélismes et mettent en surbrillance l’épreuve du temps sur les douleurs éprouvées. Les emprunts à l’art sont tout aussi significatifs : André et Juliette chérissent davantage Les Noces de Cana que La Joconde ; la femme énigmatique, au sourire mystérieux, est dédaignée au profit d’une cour festoyant, pleine de couleurs, pleine de corps et motifs intrigants. À Gabrielle, dont ils ne saisissent pas le pourquoi de ses actes, sont préférés les repas familiaux, l’idée d’une célébration heureuse.
Surtout, le roman arrive à son apothéose quand Antoine Léoty, fils d’André et Juliette, rencontre Armand Lachalme, fils de Georges et Madeleine, le neveu de Paul, c’est-à-dire le cousin d’André ; quand, donc, la descendance officielle des Lachalme lie connaissance avec sa descendance illégitime. Là où André a tenté, puis abandonné, a désiré, puis manqué, Antoine, finalement, réussit. Et si le début du roman met en place un drame inqualifiable, sa fin instaure un équilibre inédit. Marie-Hélène Lafon oppose là deux scènes cruciales de son roman : la rencontre initiale, subite, violente, entre Armand et Antoinette, la ménagère des Lachalme, qui s’achève en 1908 dans la mort ; l’ultime rencontre, organisée, chaleureuse, entre Antoine et Armand (dont il faut absolument noter la proximité des prénoms avec ceux de leurs homologues), qui résulte en 2008 à l’assentiment de l’existence d’André comme fils de son père – qui résulte en somme en une reconnaissance de la place au monde d’André, une véritable renaissance. La langue de Marie-Hélène Lafon joue ici un rôle de catalyseur : par sa seule expression, par son sublime et sa préciosité, elle instille mouvement et effervescence. Trouble, puis plénitude.
Une mosaïque d’émotions
Histoire du fils est en somme d’une grande délicatesse et d’une grande finesse en ce qui concerne les relations humaines. Marie-Hélène Lafon y traite de l’impact des secrets sur les membres d’une même lignée avec beaucoup d’empathie pour ses personnages. L’entrelacs des destinées de ces êtres de papier est travaillé avec précision ; le vocabulaire choisi, la syntaxe préférée des phrases (des phrases se déployant parfois longuement, en « flux » et « reflux ») et la morphologie des termes (essentiellement les temps verbaux employés), ajoutent encore à l’émotion de lecture. La romancière fait aussi montre d’une mémoire presque topographique des lieux de son enfance, ravivant l’intensité des odeurs, des sonorités et des couleurs de ces endroits « enchantés ». La langue, minimaliste, poétique, rythmée, est aussi concise : moins de deux cents pages sont nécessaires à Marie-Hélène Lafon pour délivrer à ses lecteur·rice·s un condensé d’émotions.
Chanterelle porte étrangement son nom de royaume suranné. Un ciel immense y tournoie dans ce jour doré d’un été indien qui ne veut pas finir. Chanterelle est vide, éperdument bleue, assaillie de lumière.
M.H.Lafon est d’abord et avant tout une fée des mots, des phrases, des ambiances et de la vie, une dentelière.
Ce roman est comme un tableau qui s’illumine par petites touches de couleurs, par des personnages ancrés dans un territoire, par des vies qui s’accomplissent pas à pas à travers les générations.
Une écriture fine, ciselée et poétique qui fait du bien comme une jouissance comme un bain chaud ou comme les saisons dans leurs multitudes de senteurs et d’émois.
Une pudeur, un respect du vivant.
M.H.Lafon excelle dans l’écriture des petites choses, des petites vies chuchotées à distance, accompagnées de magnifiques silences, de demi-mot.
L’auteure devine, ne révèle pas, elle invente mais ne trahit pas, à travers des générations, des destins elle construit son texte et donne parole aux absents et aux silences.
Ecriture simple, élégante, ample et pleine de saveurs.
Tout est dit, vous raconter l’histoire serait une trahison.