Et toujours les Forêts de Sandrine Collette, quelle humanité après la fin du monde ?

Copyright : JC Lattès

Écrivaine française née en 1970, Sandrine Collette a une certaine prédilection pour les récits mettant en lumière l’œuvre des êtres humains sur la Terre : ses personnages sont souvent en situation de grande détresse, isolés dans des environnements hostiles découlant des méfaits de l’Homme sur la planète. Elle est ainsi l’auteure de Juste après la vague (Denoël, 2018), roman dans lequel bien peu d’âmes survivent à une vague qui détruit tout sur son passage ; et Il reste la poussière (Denoël, 2016), roman dans lequel son personnage principal se retrouve en marge des autres dans une « steppe balayée de vents glacés ».

Dans Et toujours les Forêts, Sandrine Collette poursuit cette entreprise littéraire singulière. Ici, un jeune garçon mal-aimé devient homme de la Grande Ville, avant d’être confronté à une situation inédite qui le contraint à un retour à la nature.

Un enfant du « malheur »

Corentin connaît une enfance difficile. Marie, qui n’a jamais souhaité tomber enceinte, le trimballe d’un endroit à l’autre sans se soucier des répercussions psychiques sur le garçon qu’elle considère comme une « existence maudite ». Cette mère bien malgré elle choisit de s’en débarrasser une fois pour toutes chez l’arrière-grand-mère du petit, au creux de la vallée des Forêts. Corentin débarque ainsi chez Augustine, une « vieille dame » vivant dans une demeure vétuste située à proximité de la nature. Il y trouve un foyer aimant, n’y manque de rien.

À dix-huit ans, « repéré » par l’école, Corentin s’envole pour la Grande Ville. Il s’y forge un avenir, intègre une bande de copains, profite de nuits folles accompagné de jeunes de son âge. En dépit de l’air raréfié de cette Grande Ville, de l’assèchement perceptible des sols, de la flore ostensiblement fragilisée, ses escapades vers les Forêts sont de plus en plus espacées… jusqu’au jour où la Terre expérimente un cataclysme sans précédent. Au moment de cette « chose » insolite, Corentin est dans les catacombes célébrant une fête comme une autre. Il doit bientôt se rendre compte à l’évidence : il vient miraculeusement de survivre à l’anéantissement du monde. Toute vie sur Terre a été effacée… ou presque. « Le monde [est] une immense poussière. »

Abandonné de tous, le jeune homme entreprend dès lors un retour aux sources, un départ pour les Forêts – le seul endroit au monde où il s’est senti un jour choyé. Il espère y retrouver Augustine.

Les mots dansaient dans sa tête – la grande extinction. Il en avait entendu parler souvent, avant. Quand certains essayaient d’alerter. Ils donnaient des chiffres, ils donnaient des exemples. L’été, quand on roulait, il n’y avait plus d’insectes écrasés sur les pare-brise des voitures. Cela commençait ainsi, une extinction.

Sandrine Collette attribue à son personnage principal un terrible instinct de survie. Corentin mène une quête irrationnelle vers les Forêts, obnubilé par l’idée que la Terre retrouvera un jour de sa magnificence, que les couleurs raviveront ce monde de gris, de peu de lueur ; persuadé qu’il trouvera en Augustine une figure maternelle capable de répondre à ses interrogations. Bien souvent empreint de doute, le jeune homme surmonte ses peurs, les obstacles qui entravent son chemin. Il tente de reconstruire ce monde à partir de rien, et ces actes en deviennent dérangeants, condamnables.

En personnifiant les Forêts, la Petite Ville et la Grande Ville, l’écrivaine expose surtout le caractère vivant de ces environnements distincts : à chaque lieu son apparence, son mode de fonctionnement et son langage. Les Forêts sont un « territoire à part, colossal, charnu d’arbres centenaires, de chemins qui [s’effacent] chaque saison sous la force de la nature ». C’est surtout un lieu « maléfique » d’où le malheur prend source selon les anciens. Corentin semble ainsi, depuis sa naissance, condamné au malheur perpétuel. Condamné à la solitude.

Une pluralité de références bibliques

Et toujours les Forêts comporte en épigraphe des versets choisis du livre de l’Apocalypse de Jean. Ces derniers, proposés ci-après, montrent l’avènement du feu sur Terre, un élément auquel se mêlent ici grêle et sang, symboles de désespoir et de mort.

« Le premier [ange] fit sonner sa trompette : grêle et feu mêlés de sang tombèrent sur la terre ; le tiers de la terre flamba, le tiers des arbres flamba, et toute végétation verdoyante flamba. »

Dès le début de son énonciation, Sandrine Collette plonge ainsi ses lecteur.rice.s dans un univers atypique aux nombreuses références bibliques. La mère de Corentin, appelée Marie, est sans doute l’antinomie de la Vierge Marie dans ses agissements. Elle est entourée de deux hommes avant d’apprendre sa grossesse : le premier est Jérémie, son mari, dont le prénom fait référence au prophète solitaire, au prophète des lamentations (en anglais, the wipping prophet, le prophète en pleurs). Jérémie est présenté comme un homme bon, comme un « petit chien » dont Marie se lasse. Marc, l’ami d’enfance de Jérémie, porte quant à lui le prénom d’un apôtre représenté souvent à l’image d’un lion ailé. Marie couche avec Marc ; les deux hommes se bagarrent ; Jérémie est blessé dans l’âme, puis blessé tout court ; Marc disparaît (s’envole ?) en apprenant la mort de son ami.

Marie porte de la sorte en ses « entrailles » un enfant qu’elle ne désire pas, une existence dont elle aurait préféré avorter. Ce bébé est né pour souffrir, pour connaître « malheur » et « désastre ». La romancière utilise l’image de ces entrailles pour accentuer le caractère central de Corentin dans la narration, un homme qui va parcourir nuits et jours de nombreux kilomètres, comme une pénitence, et traverser des paysages désertiques.

L’apocalypse annoncée par l’épigraphe du roman se matérialise après une série d’événements avant-coureurs. À l’instant où tout implose, les descriptions de Sandrine Collette se font moins précises : la « chose » semble de feu et de radiations, à l’extérieur des « corps fondus » ou « foudroyés par une rafale inconnue » sont découverts, « tout ce qui était vif [est] devenu cendres ». Dans le respect de la prédiction biblique, le « monde nouveau » ainsi « révélé » est sans végétation luxuriante, c’est un paysage « lunaire ».

Un réchauffement climatique en cause

Sandrine Collette avertit subséquemment ses lecteur.rice.s : cette terrible fin du monde mise en exergue dans Et toujours les Forêts est causée par l’Homme. Les scientifiques dénoncent depuis de longues années un réchauffement climatique qui nuit à l’environnement naturel : la température moyenne de l’atmosphère terrestre augmente de manière inquiétante. Selon l’écrivaine, certaines personnes sceptiques et/ou indifférentes ne comprennent pas les enjeux liés à cette catastrophe écologique.

Mais ça ne se voyait pas que la nature crevait, dans la ville.

Les plus vieux arbres avaient commencé à sécher, les étés étaient trop raides. La plupart des ruisseaux dans lesquels il pataugeait auparavant n’étaient plus que des petits filets d’eau qui sentaient la vase. Chaque semaine, à la télévision, il entendait les mots : réchauffement climatique, deux degrés, trois degrés, danger. Cela ne signifiait rien pour lui. Il faisait chaud, c’était tout. Chaud et sec.

Sandrine Collette choisit ainsi d’illustrer les conséquences désastreuses du réchauffement climatique tout au long de son énonciation. Elle dévoile aux lecteur.rice.s attentif.ve.s une pluralité de phénomènes constatables aujourd’hui, oppose de la sorte les souvenirs d’antan à la réalité des saisons modernes ; à titre d’exemple, « l’hiver, il pleuvait et il ne gelait plus » comme autrefois, une observation que l’on pourrait également noter concernant certaines régions du monde, de la France. En ces conditions, même un lieu comme les Forêts, source de bonheur de Corentin, est impossible à préserver.

Aussi, après l’implosion instantanée du monde, un univers glacial se dessine. Le soleil n’existe plus. L’Homme a perdu son combat.

Il se souvenait des avertissements qu’on leur avait faits pendant des années, la Terre se réchauffait trop et trop vite – et c’était vrai : tant d’espèces marines avaient déjà disparu des eaux devenues anormalement chaudes et acides, tant de mammifères aussi, dans des régions que le désert avait envahies, les rendant invivables. Les bêtes les premières avaient souffert des changements du monde, et pas un homme ne s’était dit qu’après, ce serait son tour. Ou ils avaient été si peu nombreux. On leur avait tant coupé la parole. La chaleur était montée par petits paliers insidieux, indolore, invisible – jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à faire parce que tout s’était enclenché, sans retour possible, même en pleurant et même en suppliant, c’était la grande mécanique de l’univers.

Que faire ensuite ? L’écrivaine semble répondre à cette question : après, il est trop tard. Aucun retour en arrière n’est possible.

Une dystopie effarante

Sandrine Collette propose en définitive une vive critique de la société actuelle avec ce roman. Elle y traite particulièrement du réchauffement climatique et de la part bestiale de tout être humain. Elle choisit pour ce faire une énonciation hachée, composée de courtes phrases montrant les pensées de ses personnages. Les dialogues ne sont pas délimités par une ponctuation spécifique – il n’y a jamais de tirets. L’écrivaine emploie souvent des groupes nominaux isolés pour qualifier les actions ou les circonstances dans lesquelles évoluent ses personnages.

À noter ici que des violences en tout genre (assassinats, agressions physiques et morales, viols) font partie intégrante de l’intrigue, et que ces récits peuvent heurter la sensibilité d’autrui. Les hommes sont présentés comme prisonniers de leur instinct, comme des êtres succombant à leurs pulsions animales, sexuelles et meurtrières. Il n’y a plus de respect de l’autre, l’autre devient un moyen de parvenir à ses fins.

Les hommes étaient intrinsèquement des meurtriers. Ils puaient la mort. Aussi stupides que les cellules cancéreuses détruisant les corps qui les abritent, jusqu’à claquer avec eux. Tuer et être tué.
Insensés.

Et toujours les Forêts constitue ainsi une dystopie post-apocalyptique exposant le caractère destructeur de l’Homme pour la Terre, de l’Homme pour lui-même.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.