Yasmina Khadra est un écrivain algérien d’expression française au passé hors du commun. Officier engagé dans l’institution militaire d’Algérie pendant près de trente-six ans, ce romancier a longtemps écrit sous la censure militaire, d’où l’utilisation de son pseudonyme féminin. Il révèle sa véritable identité seulement à la sortie de son ouvrage L’Écrivain paru en janvier 2001 aux éditions Julliard.
Dans Ce que le mirage doit à l’oasis, Yasmina Khadra propose un récit à caractère autobiographique qui retrace son enfance en Algérie et dévoile son affection pour le désert et ses oasis. Ses textes sont juxtaposés aux œuvres de calligraphie de Lassaâd Metoui, un artiste originaire de Tunisie formé très jeune à la calligraphie arabe dont les illustrations sont reconnues dans le monde entier.
À la redécouverte du Désert, une étendue mystérieuse source de beauté
Yasmina Khadra naît à Kenadsa en Algérie, une ville située à proximité du Sahara. D’une certaine manière, l’histoire de cet homme est donc liée à ce vaste désert de la partie nord du continent africain.
Je suis né aux portes du désert, à Kenadsa, un village coincé entre le reg et la barkhane, semblable à un nénuphar sur les eaux évanescentes des réverbérations.

Copyright : Flammarion
Cette zone aride représente un mystère qui a toujours intrigué l’écrivain, une « force tranquille » qui suscite en lui bien des questionnements. Yasmina Khadra aime cette surface sableuse, rocheuse, singulière, comme il aimerait une chose à laquelle il doit l’origine de son existence. Et si le désert ne l’a pas réellement vu naître, ce dernier a bien été présent à tous les stades de sa vie.
On retrouve alors ce terrain aride, personnifié, sublimé, idéalisé, dans la narration énoncée par l’auteur. Yasmina Khadra s’adresse au Désert comme il parlerait à une personne pour laquelle il a de l’admiration. Il s’adresse à lui comme à une instance qui pourrait juger de sa qualité d’homme. Et ce Désert, souverain, cherche à comprendre l’émerveillement qu’il fait naître chez cet écrivain, s’interroge sur les raisons de sa fascination. Selon lui, le monde d’aujourd’hui n’est en rien meilleur à celui d’hier ; lui qui dans son passé était un antre respecté.
Jadis, dormir à la belle étoile au large des langueurs bédouines, c’était renaître à la romance.
Jadis, se recueillir dans mes silences élevait d’office le pécheur au rang des sanctifiés.
[…] Mes pluies sont désormais aussi acides que mes larmes ; mes horizons se décrochent comme de vieilles tentures ; le ciel est une décharge de ferraille et de câbles ; les comètes fascinent moins que les satellites et les drones se sont substitués aux oiseaux d’Ababil…
Yasmina Khadra prend sa plume pour rendre un hommage poétique au Désert : « Si je suis devenu l’homme que je suis, si j’ai choisi d’aimer les êtres et les choses, c’est grâce à toi. C’est la raison pour laquelle je me dois de te dire. ». Afin de conter son histoire, l’écrivain dépeint d’abord d’où il vient en évoquant le parcours de ses proches, leur intimité personnelle avec le Sahara. Ce sont véritablement ces personnes qui lui ont donné le goût et l’amour de cette vaste étendue de terre dès son plus jeune âge.
Ainsi ses parents, comme la tradition l’exigeait, ne s’étaient jamais rencontrés avant la nuit de leurs noces. Sa mère est présentée comme une femme sans rancune, fière de ses expériences, incapable de se plaindre : « j’ai ri et j’ai pleuré, c’est la preuve que j’ai vécu ». Son père, un bel homme, était heureux de la venue au monde de son fils, fier d’avoir enfin un garçon. Le couple que ces deux êtres formaient semblait vibrant de tendresse et de serments, mais leur amour se tarira à l’image des oueds du désert relate Yasmina Khadra.
Ses tantes maternelles lui contaient sans cesse le Sahara, laissant libre cours à leurs récits. Elles lui narraient l’histoire des premiers indépendantistes d’Algérie ; les aventures anecdotiques d’un oncle ayant exercé en tant que sergent d’un contingent de supplétifs ; les chevauchées palpitantes de brigands dans les regs. Elles ont initié l’enfant qu’était l’auteur aux mystères romanesques du désert.
Son grand-père, quant à lui, était un poète qui partait s’isoler dans le désert pour écrire et méditer. Il pouvait y rester des semaines si le besoin se faisait ressentir, délaissant femme et enfants.
Le désert a ainsi toujours occupé une place très importante dans le cœur de Yasmina Khadra. À l’âge de neuf ans, ce dernier est emmené par son père à l’École des Cadets, une institution qui recrute les jeunes Algériens pour en faire des futurs officiers de l’Armée nationale. Pour ce très jeune garçon, cette action qui va le priver de la possibilité d’être avec les siens – de voir sa famille, ses frères et sœurs, sa mère – est dévastatrice. « Je n’étais plus l’enfant de mes rêves, mais une offrande pour la nation. »
Pourtant, c’est aussi là que le futur écrivain comprend qu’il peut s’échapper temporairement de cette « école-prison » par le biais de la lecture. Yasmina Khadra n’est plus si énervé de sa situation s’il peut se réfugier dans les livres. L’école militaire, c’est un peu sa propre traversée du désert ; les livres étant son oasis inespérée. Ce désert métaphorique aura finalement été sa source d’inspiration, et dans ses écrits, il glorifie son immensité d’où peut naître un bonheur sans failles.
Chaque pas dans le désert me rapprochait de moi-même ; chaque coucher du soleil me révélait une prophétie, chaque zébrure sur la dune me rappelait un verset.
Ainsi est mon histoire avec le livre, le Désert et les Hommes : c’est l’histoire d’un partage, l’histoire d’un amour vieux comme le monde, l’amour du rêve. Aucune vie ne saurait être précieuse si on ne sait pas rêver, aucun mirage ne saurait accoucher de l’oasis si on ne sait pas déceler dans la nudité du Désert de quoi habiller notre âme et épurer notre esprit.

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Ce magnifique livre composé par Yasmina Khadra et Lassaâd Metoui offre un récit intime et de somptueuses illustrations réalisées par l’artiste-peintre.
Lassaâd Metoui est d’ailleurs lui aussi un « enfant du désert », né, selon l’éditeur, dans une oasis entre sable et mer. Les couleurs qu’il utilise dans ses toiles témoignent de sa grande prouesse artistique. Il expose par ailleurs ses œuvres dans de nombreux musées dont le Centre Georges Pompidou, le Musée Guimet, le British Museum, le Musée du Bardo, le Musée d’Art du Castello Sforzesco de Milan, et depuis 2018, à l’Institut du monde arabe de la ville de Paris.