Appelez-moi Cassandre de Marcial Gala, un Cuba mythologique

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Marcial Gala, écrivain, poète et architecte cubain partageant son temps entre Cienfuegos et Buenos Aires, s’applique dans l’entièreté de son œuvre littéraire à montrer les divisions demeurantes du peuple cubain, notamment une certaine fracture sociale accentuée par les sentiments dissemblables que suscitent la politique et l’histoire tumultueuses de l’île, et défendre les voix mésestimées en cette communauté, à savoir celles des enfants, des Noir·es, des personnes LGBTQIA+. Il compose ainsi une œuvre qui se veut à la fois poétique et critique, imaginative et engagée. Il adopte du reste cette même approche pour l’écriture d’Appelez-moi Cassandre, un roman traduit de l’espagnol par François-⁠⁠Michel Durazzo. Marcial Gala y crée en effet un univers réaliste magique au moyen d’une écriture précise et mène ses lecteur·rices aux … Continuer la lecture de « Appelez-moi Cassandre de Marcial Gala, un Cuba mythologique »

Open Water de Caleb Azumah Nelson, un hymne à la souffrance noire

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Écrivain et photographe ghanéo-britannique, Caleb Azumah Nelson possède l’âme d’un artiste complet. Il écrit, bien sûr – nombreux de ses textes sont parus dans le magazine britannique Litro –, mais est aussi passionné de musique, des arts visuels, de danse et de photographie. Tout est matière à la poésie selon lui ; c’est en tout cas ce que semble signifier son premier roman paru au mois de février 2021 chez Viking Books, paru en ce mois d’août 2022 aux éditions Denoël grâce à la traduction de Carine Chichereau[1]. Open Water offre en effet un conte contemporain dans lequel se mêlent lyrisme et musicalité, mais aussi racisme et souffrance. Caleb Azumah Nelson nous y interroge sur la possibilité de l’amour dans un contexte peu propice à tout sentiment positif, … Continuer la lecture de « Open Water de Caleb Azumah Nelson, un hymne à la souffrance noire »

Fille, femme, autre de Bernardine Evaristo, intersectionnalité et poésie

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En son œuvre ambitieuse intitulée Fille, femme, autre, Bernardine Evaristo explore avec intelligence, éloquence et poésie les défis que la société d’aujourd’hui pose aux femmes ; aux Noir·e·s ; aux personnes non-binaires ; aux personnes appartenant à la communauté LGBTQIA ; aux personnes ayant connu l’exil, à leurs enfants natif·ve·s du pays d’adoption, aux générations suivantes ; et aux personnes à l’intersection de ces différentes catégories – notons par exemple une femme qui soit noire, lesbienne, pluriamoureuse, britannique mais dont le père est originaire du Ghana, comme Amma. Partant des expériences de vie de douze protagonistes, la romancière, ici traduite de l’anglais par Françoise Adelstain, traite des notions de race, de classe, d’immigration, de fracture sociale, d’orientation sexuelle et d’identité de genre, en opposant l’être dit « différent » … Continuer la lecture de « Fille, femme, autre de Bernardine Evaristo, intersectionnalité et poésie »

Satisfaction de Nina Bouraoui, l’inassouvissement d’une femme confondue

Copyright : JC Lattès

Nina Bouraoui réinterroge sans cesse les notions d’identité et de genre, d’amours interdites et de trahison, d’enfances malmenées et d’émancipation en son œuvre. Elle offre ainsi en cette rentrée automnale 2021 un roman intitulé Satisfaction qui reprend chacune de ses obsessions littéraires. Sa protagoniste principale, souffrant d’une forme d’abandon, tente de saisir l’instant à l’aide sa caméra super 8 – la romancière utilisant ce motif pour figer l’instabilité au monde de son anti-héroïne –, à l’aide aussi, de ses multiples carnets de vie, témoins de ses fantasmes, ses névroses, sa honte. Un désamour, un désir Madame Akli est une Française qui, « [rêvant] d’une autre terre que la France », arrive en Algérie en 1962, après l’Indépendance, pour s’y installer avec son jeune époux Brahim. … Continuer la lecture de « Satisfaction de Nina Bouraoui, l’inassouvissement d’une femme confondue »

Soleil amer de Lilia Hassaine, une cruelle désillusion

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Choisissant pour épigraphe deux vers du Bateau ivre d’Arthur Rimbaud – « Les Aubes sont navrantes/Toute lune est atroce et tout soleil amer » –, suggérant de sorte une traversée en mer singulière où l’avènement n’est peut-être que désenchantement, désillusion et mélancolie, Lilia Hassaine traite en son deuxième roman d’exil et de mensonge à travers la destinée d’une famille algérienne installée en France. Une aventure française Soleil amer démarre par une scène d’enfants « [campant] des personnages » romains, se livrant à des « luttes fratricides », des petites guerres qui sans cesse se terminent et recommencent. On est alors dans la région montagneuse de l’Aurès en Algérie, en 1959. Là, Naja, vingt-six ans, élève seule ses trois filles, Maryam, Sonia et Nour, encore bébé. Son mari Saïd a … Continuer la lecture de « Soleil amer de Lilia Hassaine, une cruelle désillusion »

Frère d’âme de David Diop, où la nuit, tous les sangs sont noirs

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Dans son deuxième roman intitulé Frère d’âme, David Diop décrit à travers l’histoire de ses deux protagonistes principaux, deux tirailleurs sénégalais enrôlés au sein des troupes françaises, la brutalité de la Grande Guerre. Par leurs destinées étroitement liées, le romancier nous interroge sur la notion complexe d’humanité : qui peut se dire « humain » en temps de guerre ? Et que dire d’un homme qui, soumis au désespoir, commet l’intolérable bien qu’agissant « libre », selon sa propre volonté ? Deux frères opposés L’intrigue de Frère d’âme démarre in medias res aux côtés d’Alfa Ndiaye pleurant la mort de Mademba Diop. Les deux hommes, vingtenaires, étaient « plus que frères » puisqu’ils se sont mutuellement choisis au plus tendre de leur jeunesse. De sorte, comme tous frères, Alfa et … Continuer la lecture de « Frère d’âme de David Diop, où la nuit, tous les sangs sont noirs »

L’Historiographe du royaume de Maël Renouard, une œuvre littéraire en dissimule d’autres

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Écrivain et traducteur littéraire français né en 1979, Maël Renouard s’interroge, à l’image de Proust, sur la « meilleure manière de “refaire” les œuvres qu’on aime ». Selon lui, il faut « trouver loin d’elles son propre cheminement, le suivre avec labeur et obstination, et c’est alors seulement, au bout de l’effort créateur, par une sorte de grâce, que l’on rejoindra peut-être ses modèles et, qui sait, que l’on s’égalera à eux ». Son roman intitulé L’Historiographe du royaume, paru en cette rentrée littéraire 2020 aux éditions Grasset, est sans doute le manifeste le plus vif de cette volonté littéraire. S’inspirant des Mémoires de Saint-⁠Simon, du Vicompte de Bragelonne d’Alexandre Dumas et des contes des Mille et Une Nuits, Maël Renouard compose une œuvre … Continuer la lecture de « L’Historiographe du royaume de Maël Renouard, une œuvre littéraire en dissimule d’autres »

Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal, quelle liberté pour les femmes du Sahel ?

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Femme de lettres, militante féministe et fondatrice de l’association Femmes du Sahel, Djaïli Amadou Amal est engagée corps et âme contre les discriminations très fortes que subissent les femmes de la ceinture sahélienne, notamment les femmes du Cameroun septentrional. L’écrivaine naît précisément dans cette région de l’Extrême-Nord du Cameroun et est mariée à l’âge de dix-sept ans à un homme politique qui utilise son pouvoir pour obtenir sa main. Elle épouse ce haut fonctionnaire quinquagénaire sans son consentement, sans celui même de son père, selon le bon vouloir de ses oncles. Libérée – des années plus tard – de cette situation inqualifiable, elle choisit de prendre sa plume pour décrire les conditions de vie des femmes mariées contre leur gré, … Continuer la lecture de « Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal, quelle liberté pour les femmes du Sahel ? »

L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, ou l’existence de l’univers remise en question

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Membre de l’Oulipo depuis 1992 et président de cet atelier littéraire depuis 2019, Hervé Le Tellier est un fervent défenseur des littératures dites « à contraintes ». Il en fait son art de prédilection, et nombreux de ses ouvrages publiés sont le résultat de ses expérimentations – c’est le cas, par exemple, de Joconde jusqu’à cent (Le Castor astral, 1998), La Chapelle Sextine (L’Estuaire, 2005) et Les amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable (Le Castor astral, 2008). Avec L’Anomalie, paru à l’occasion de la rentrée littéraire 2020 aux éditions Gallimard, Hervé Le Tellier offre une œuvre qui s’auto-référence de manière réflexive, une sorte de méta-œuvre. Son roman se décrit en effet lui-même : son titre, son épigraphe, ses observations, annoncent déjà une certaine étrangeté qui, on le … Continuer la lecture de « L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, ou l’existence de l’univers remise en question »

Les Lumières d’Oujda de Marc Alexandre Oho Bambe, l’extrême actualité de l’exil meurtrier

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Dans la nuit du mardi 8 au mercredi 9 septembre 2020, le camp Moria, situé à Lesbos en Grèce, connaît un incendie dévastateur laissant près de treize mille réfugiés (dont près de quatre mille enfants) sans toit, sans ressources, sans espoir[1]. Vingt-cinq jours, déjà, depuis ce désastre, mais les différents gouvernements européens tardent à proposer une vraie solution de « survie » à ces personnes « [nées du] mauvais côté »[2] ; autant de lunes couchées qui mettent en exergue l’absolue nécessité de réfléchir à ce que les politiques et journalistes appellent communément « la question migratoire ». D’une terrible actualité et d’une résonance sans pareille, Les Lumières d’Oujda, roman paru en cette rentrée littéraire 2020 aux éditions Calmann-Lévy, offre un regard lucide sur la « tragédie qui … Continuer la lecture de « Les Lumières d’Oujda de Marc Alexandre Oho Bambe, l’extrême actualité de l’exil meurtrier »