Alors que sera bientôt annoncé·e la ou le récipiendaire du Scotiabank Giller Prize 2022, jeudi 3 novembre dernier se tenait à Toronto l’événement Between the Pages (Entre les lignes), un événement littéraire célébrant les œuvres finalistes de cette édition : Lesser Known Monsters of the 21th Century de Kim Fu, Stray Dogs de Rawi Hage, We Measure the Earth with Our Bodies de Tsering Yangzom Lama, The Sleeping Car Porter de Suzette Mayr et If an Egyptian Cannot Speak English de Noor Naga. Ainsi Kim Fu, Rawi Hage, Tsering Yangzom Lama, Suzette Mayr et Noor Naga ont chacun·e eu l’opportunité de lire un extrait de leur ouvrage sélectionné et de répondre aux questions de Jael Richardson. À travers les échanges bienveillants entre les auteur·es et l’animatrice s’est dessinée ce soir-là toute une réflexion sur le … Continuer la lecture de « Between the Pages (Entre les lignes) du Scotiabank Giller Prize 2022 »
Amérique du Nord
Sous cette étiquette sont rangés les articles et chroniques où il est question de l’Amérique du Nord.
Real Life de Brandon Taylor, une place au monde
Brandon Taylor retrace en son premier roman les désillusions d’un étudiant noir homosexuel jouissant d’une pareille formation universitaire que lui, dans le domaine de la biochimie. Par les errances réflectives de son personnage, ce dernier préférant le silence à la confrontation, paraissant néanmoins – et c’est toute la difficulté de son état émotionnel – en proie à une solitude écrasante, il traite à la fois de traumatisme et renoncement, ainsi que du poids du passé et ses effets sur l’expérience immédiate. Real Life, traduit de l’anglais par Héloïse Esquié, nous convie de sorte à considérer la violence – morale, verbale, physique – à laquelle est quotidiennement exposé cet homme lors d’un week-end où il côtoie ses condisciples de campus. On découvre les épisodes qui … Continuer la lecture de « Real Life de Brandon Taylor, une place au monde »
Appelez-moi Cassandre de Marcial Gala, un Cuba mythologique
Marcial Gala, écrivain, poète et architecte cubain partageant son temps entre Cienfuegos et Buenos Aires, s’applique dans l’entièreté de son œuvre littéraire à montrer les divisions demeurantes du peuple cubain, notamment une certaine fracture sociale accentuée par les sentiments dissemblables que suscitent la politique et l’histoire tumultueuses de l’île, et défendre les voix mésestimées en cette communauté, à savoir celles des enfants, des Noir·es, des personnes LGBTQIA+. Il compose ainsi une œuvre qui se veut à la fois poétique et critique, imaginative et engagée. Il adopte du reste cette même approche pour l’écriture d’Appelez-moi Cassandre, un roman traduit de l’espagnol par François-Michel Durazzo. Marcial Gala y crée en effet un univers réaliste magique au moyen d’une écriture précise et mène ses lecteur·rices aux … Continuer la lecture de « Appelez-moi Cassandre de Marcial Gala, un Cuba mythologique »
L’Ombre animale de Makenzy Orcel, ou la violence d’« ici »
Dans l’œuvre première de sa trilogie explorant la destinée de femmes mortes, des femmes livrant leur testament émotionnel à qui veut l’entendre, Makenzy Orcel nous invite à découvrir les ténèbres et possibles lumières d’Haïti : L’Ombre animale s’inscrit en effet en ce pays où « la situation empire dans les rues, les gens crient famine, dans le nord comme dans le sud, réclament le départ immédiat du président de la République ». Il convoque de sorte les réflexions crues d’une âme n’ayant jamais eu l’opportunité d’énoncer les mouvements de son être afin d’exposer, par son récit, l’existence d’une terre-soleil impraticable. Son œuvre se révèle ainsi d’une rare violence et d’une sublime irrévérence, et fait montre d’une poésie épousant le réalisme merveilleux cher à la … Continuer la lecture de « L’Ombre animale de Makenzy Orcel, ou la violence d’« ici » »
Si le soleil se dérobe de Nicole Dennis-Benn, une quête de liberté
Née et ayant grandi à Kingston en Jamaïque et installée à New York aux États-Unis dès sa dix-septième année, Nicole Dennis-Benn connaît intimement le bouleversement que peut créer une situation d’exil volontaire[1]. Elle s’inspire quelque peu de son expérience singulière pour nourrir la psyché de sa protagoniste principale en Patsy, un roman que l’on retrouve en français sous le titre Si le soleil se dérobe grâce à la traduction de Benoîte Dauvergne. Ainsi l’héroïne éponyme de Patsy s’envole également pour New York mais ne bénéficie, en revanche, ni d’un permis de travail ni d’un statut légal de résidence permanente pour ce faire. Son départ n’est d’ailleurs pas sans conséquences pour les sien·nes et, à travers son parcours, Nicole Dennis-Benn nous propose de contempler les notions … Continuer la lecture de « Si le soleil se dérobe de Nicole Dennis-Benn, une quête de liberté »
Point de fuite d’Elizabeth Brundage, entre ombres et lumières
Le « point de fuite », aussi connu sous l’expression anglophone vanishing point, est une méthode de composition employée en photographie qui vise à attirer l’œil vers un point précis de l’image. Ce point, paraissant de sorte en arrière-plan de la scène première, apporte de la perspective et de la profondeur à la prise de vue ; il est le lieu où convergent des lignes parallèles, dites « lignes de fuite », qui capturent l’attention. Elizabeth Brundage, traduite ici de l’anglais par Cécile Arnaud, choisit singulièrement d’employer ce procédé technique comme titre de son roman traitant de la disparition d’un homme. L’art de la photographie l’influence de fait dans ses choix d’écriture. Elizabeth Brundage définit en effet le cadre de son intrigue ainsi que ses « sujets », ses personnages, … Continuer la lecture de « Point de fuite d’Elizabeth Brundage, entre ombres et lumières »
Houston-Osaka de Bryan Washington, une certaine rémission
D’abord auteur d’un recueil de nouvelles intitulé Lot en lequel il explore les notions d’identité, d’environnement familial, de communauté, de race et de classe sociale[1], Bryan Washington choisit de poursuivre ses obsessions littéraires dans un premier roman, ici traduit de l’anglais par Laurent Trèves, où il décrit la relation amoureuse, sentimentale, sexuelle que vivent deux hommes de race et classe différentes. Il y exploite l’inconfort de ses personnages pour montrer les effets des non-dits sur un couple et s’intéresse en filigrane à ce que signifie vivre « autre » en société et ce que peut signifier pour ces « autres » l’avènement d’une perturbation inéluctable. Une communication rompue L’énonciation de Houston-Osaka démarre par la voix de Benson, afro-américain issu d’une famille de classe moyenne résidant dans … Continuer la lecture de « Houston-Osaka de Bryan Washington, une certaine rémission »
Fille, femme, autre de Bernardine Evaristo, intersectionnalité et poésie
En son œuvre ambitieuse intitulée Fille, femme, autre, Bernardine Evaristo explore avec intelligence, éloquence et poésie les défis que la société d’aujourd’hui pose aux femmes ; aux Noir·e·s ; aux personnes non-binaires ; aux personnes appartenant à la communauté LGBTQIA ; aux personnes ayant connu l’exil, à leurs enfants natif·ve·s du pays d’adoption, aux générations suivantes ; et aux personnes à l’intersection de ces différentes catégories – notons par exemple une femme qui soit noire, lesbienne, pluriamoureuse, britannique mais dont le père est originaire du Ghana, comme Amma. Partant des expériences de vie de douze protagonistes, la romancière, ici traduite de l’anglais par Françoise Adelstain, traite des notions de race, de classe, d’immigration, de fracture sociale, d’orientation sexuelle et d’identité de genre, en opposant l’être dit « différent » … Continuer la lecture de « Fille, femme, autre de Bernardine Evaristo, intersectionnalité et poésie »
Black Cake de Charmaine Wilkerson, un mets, une histoire, un héritage
Charmaine Wilkerson croit au lien indéfectible existant entre les histoires que l’on raconte et la nourriture que l’on mange[1]. Selon elle, nul doute que la nourriture possède son propre langage, c’est-à-dire sa propre manière d’articuler et exprimer le sentiment, l’émotion, mais aussi l’héritage et la tradition. Elle choisit ainsi de composer son premier roman intitulé Black Cake partant d’une recette qu’elle reçoit de sa mère jamaïcaine, la recette d’un gâteau connu dans la Caraïbe anglophone sous le nom de black cake, « gâteau noir ». Particulièrement célébré à la Jamaïque, ce dessert tirant ses origines du Christmas plum pudding britannique est dulcifié à l’aide de sucre de canne et de fruits secs imbibés de rhum ou de liqueur. Charmaine Wilkerson s’en sert ici comme … Continuer la lecture de « Black Cake de Charmaine Wilkerson, un mets, une histoire, un héritage »
Sula de Toni Morrison, une existence noire, féminine, en dehors des « autres »
Toni Morrison s’interroge en son deuxième roman intitulé Sula sur le devenir possible de toute femme noire qui évoluerait en marge des attentes implicites et/ou explicites de la société à son égard et sur les conséquences de son individualisme dans une communauté pourtant tout aussi individualiste. La romancière nous propose en effet de contempler ici l’existence d’une femme libre, insoumise aux injonctions des autres ; une « hors-la-loi » mécomprise, considérée en paria pour ses agissements dits masculins ; une Africaine Américaine rebelle, désireuse d’exister faisant abstraction des règles qui lui sont dictées en raison de sa race et son genre ; une amante éhontée, qui se choisirait elle en toute situation, en dépit aussi d’une amitié féminine qui lui est chère. Pour ce faire, elle … Continuer la lecture de « Sula de Toni Morrison, une existence noire, féminine, en dehors des « autres » »