Alors que sera bientôt annoncé·e la ou le récipiendaire du Scotiabank Giller Prize 2022, jeudi 3 novembre dernier se tenait à Toronto l’événement Between the Pages (Entre les lignes), un événement littéraire célébrant les œuvres finalistes de cette édition : Lesser Known Monsters of the 21th Century de Kim Fu, Stray Dogs de Rawi Hage, We Measure the Earth with Our Bodies de Tsering Yangzom Lama, The Sleeping Car Porter de Suzette Mayr et If an Egyptian Cannot Speak English de Noor Naga.
Ainsi Kim Fu, Rawi Hage, Tsering Yangzom Lama, Suzette Mayr et Noor Naga ont chacun·e eu l’opportunité de lire un extrait de leur ouvrage sélectionné et de répondre aux questions de Jael Richardson. À travers les échanges bienveillants entre les auteur·es et l’animatrice s’est dessinée ce soir-là toute une réflexion sur le processus créatif d’une œuvre littéraire, particulièrement celui d’une œuvre romanesque.
Kim Fu, Rawi Hage, Tsering Yangzom Lama, Suzette Mayr et Noor Naga ont tenté, dans un premier temps, de nous renseigner sur comment est rendu possible le voyage, à savoir le déplacement de leur intrigue, en différentes époques, différents lieux, différentes circonstances. Il émerge céans qu’il faille trouver un juste équilibre entre vérité et vraisemblance : l’écrivain·e doit parvenir à se nourrir suffisamment de ses expériences, ses séjours hors du « connu » et ses recherches pour alimenter son texte de façon à garantir une certaine crédibilité auprès de ses lecteur·rices sans pour autant en négliger le souffle romanesque. Iel s’appuie pour ce faire sur maints types de sources d’information dont la convocation de témoignages réels, la consultation d’archives spécialisées ou Internet, l’interrogation de sa propre mémoire familiale et/ou ses propres connaissances techniques.
Les personnages des cinq œuvres sélectionnées naissent ainsi d’une envie de leur créateur·rice de dire quelque chose du monde ; ils décrivent aussi nos interrogations contemporaines, notamment en matière de relations et/ou connexions humaines dans un contexte sociétal inextinguible. Ces êtres de papier aux émotions tangibles évoluent de sorte en des conditions intelligibles pour les lecteur·rices de ces œuvres, et c’est leur regard sur leur quotidien, leur vécu, qui se révèle source de richesse – bien que celui-ci soit inévitablement biaisé en raison de leurs multiples affects. On notera du reste que la singularité de la population canadienne, une population souvent qualifiée de « multiculturelle » ou « diversifiée » est source d’inspiration pour chacun·e des auteur·es.
Beaucoup de choses ont également été dites, au cours de cette soirée, sur les choix esthétiques d’une œuvre. Se pose ici la question de son accessibilité : là encore semble émerger la notion d’équilibre subtil à trouver, cette fois entre le message que l’on souhaite transmettre à ses lecteur·rices et la forme du texte que l’on travaille. Kim Fu et Rawi Hage font le choix de jouer avec les genres littéraires de leurs nouvelles, Kim Fu mélangeant science-fiction, fantastique et horreur, Rawi Hage réflexions philosophiques, notes impressionnistes et réalisme. Tsering Yangzom Lama opte pour une structure double lui permettant de confronter les observations de deux de ses personnages dans chacune des unités narratives de son roman. Suzette Mayr choisit le motif littéraire fort du train, de la trajectoire, pour souligner de façon métaphorique la non-progression de son personnage central en sa vie. Noor Naga introduit les réflexions de ses deux protagonistes principaux, un homme et une femme, par un ensemble de questions introductives connotant leurs expériences.
Enfin, Kim Fu, Rawi Hage, Tsering Yangzom Lama, Suzette Mayr et Noor Naga évoquent les obstacles à l’écriture, l’impatience des leurs quant au possible aboutissement de leur projet littéraire, ainsi que le temps passé à composer leur œuvre – jusqu’à près de dix-huit, dix-neuf années pour Suzette Mayr, quinze pour Rawi Hage, douze pour Tsering Yangzom Lama.