Brandon Taylor retrace en son premier roman les désillusions d’un étudiant noir homosexuel jouissant d’une pareille formation universitaire que lui, dans le domaine de la biochimie. Par les errances réflectives de son personnage, ce dernier préférant le silence à la confrontation, paraissant néanmoins – et c’est toute la difficulté de son état émotionnel – en proie à une solitude écrasante, il traite à la fois de traumatisme et renoncement, ainsi que du poids du passé et ses effets sur l’expérience immédiate. Real Life, traduit de l’anglais par Héloïse Esquié, nous convie de sorte à considérer la violence – morale, verbale, physique – à laquelle est quotidiennement exposé cet homme lors d’un week-end où il côtoie ses condisciples de campus. On découvre les épisodes qui … Continuer la lecture de « Real Life de Brandon Taylor, une place au monde »
Littérature états-unienne
Sous cette étiquette sont rangées les œuvres de littérature états-unienne.
« I know not all that may be coming, but be it what it will, I’ll go to it laughing. » – Herman Melville
Point de fuite d’Elizabeth Brundage, entre ombres et lumières
Le « point de fuite », aussi connu sous l’expression anglophone vanishing point, est une méthode de composition employée en photographie qui vise à attirer l’œil vers un point précis de l’image. Ce point, paraissant de sorte en arrière-plan de la scène première, apporte de la perspective et de la profondeur à la prise de vue ; il est le lieu où convergent des lignes parallèles, dites « lignes de fuite », qui capturent l’attention. Elizabeth Brundage, traduite ici de l’anglais par Cécile Arnaud, choisit singulièrement d’employer ce procédé technique comme titre de son roman traitant de la disparition d’un homme. L’art de la photographie l’influence de fait dans ses choix d’écriture. Elizabeth Brundage définit en effet le cadre de son intrigue ainsi que ses « sujets », ses personnages, … Continuer la lecture de « Point de fuite d’Elizabeth Brundage, entre ombres et lumières »
Houston-Osaka de Bryan Washington, une certaine rémission
D’abord auteur d’un recueil de nouvelles intitulé Lot en lequel il explore les notions d’identité, d’environnement familial, de communauté, de race et de classe sociale[1], Bryan Washington choisit de poursuivre ses obsessions littéraires dans un premier roman, ici traduit de l’anglais par Laurent Trèves, où il décrit la relation amoureuse, sentimentale, sexuelle que vivent deux hommes de race et classe différentes. Il y exploite l’inconfort de ses personnages pour montrer les effets des non-dits sur un couple et s’intéresse en filigrane à ce que signifie vivre « autre » en société et ce que peut signifier pour ces « autres » l’avènement d’une perturbation inéluctable. Une communication rompue L’énonciation de Houston-Osaka démarre par la voix de Benson, afro-américain issu d’une famille de classe moyenne résidant dans … Continuer la lecture de « Houston-Osaka de Bryan Washington, une certaine rémission »
Black Cake de Charmaine Wilkerson, un mets, une histoire, un héritage
Charmaine Wilkerson croit au lien indéfectible existant entre les histoires que l’on raconte et la nourriture que l’on mange[1]. Selon elle, nul doute que la nourriture possède son propre langage, c’est-à-dire sa propre manière d’articuler et exprimer le sentiment, l’émotion, mais aussi l’héritage et la tradition. Elle choisit ainsi de composer son premier roman intitulé Black Cake partant d’une recette qu’elle reçoit de sa mère jamaïcaine, la recette d’un gâteau connu dans la Caraïbe anglophone sous le nom de black cake, « gâteau noir ». Particulièrement célébré à la Jamaïque, ce dessert tirant ses origines du Christmas plum pudding britannique est dulcifié à l’aide de sucre de canne et de fruits secs imbibés de rhum ou de liqueur. Charmaine Wilkerson s’en sert ici comme … Continuer la lecture de « Black Cake de Charmaine Wilkerson, un mets, une histoire, un héritage »
Sula de Toni Morrison, une existence noire, féminine, en dehors des « autres »
Toni Morrison s’interroge en son deuxième roman intitulé Sula sur le devenir possible de toute femme noire qui évoluerait en marge des attentes implicites et/ou explicites de la société à son égard et sur les conséquences de son individualisme dans une communauté pourtant tout aussi individualiste. La romancière nous propose en effet de contempler ici l’existence d’une femme libre, insoumise aux injonctions des autres ; une « hors-la-loi » mécomprise, considérée en paria pour ses agissements dits masculins ; une Africaine Américaine rebelle, désireuse d’exister faisant abstraction des règles qui lui sont dictées en raison de sa race et son genre ; une amante éhontée, qui se choisirait elle en toute situation, en dépit aussi d’une amitié féminine qui lui est chère. Pour ce faire, elle … Continuer la lecture de « Sula de Toni Morrison, une existence noire, féminine, en dehors des « autres » »
Apprendre à se noyer de Jeremy Robert Johnson, ou jusqu’où irions-nous par amour
Jeremy Robert Johnson, traduit ici par Jean-Yves Cotté pour les éditions du Cherche Midi, s’intéresse en son œuvre intitulée Apprendre à se noyer aux notions de deuil et de parentalité à travers l’histoire d’un homme qui, confronté au pire, reconsidère son entière existence. Une exploration en rivière Un homme et son fils font une expédition à visée initiatique sur la rivière. Le père voudrait de cette manière perpétuer ce que lui-même a reçu enfant de son géniteur, c’est-à-dire un ensemble d’enseignements qui permettraient au garçon de forger son identité, de connaître aussi ce qu’il est nécessaire de savoir pour vivre « homme ». L’aventure est de sorte une espèce de rituel de passage à l’âge adulte ou d’invitation à déserter l’enfance. La mère ne fait … Continuer la lecture de « Apprendre à se noyer de Jeremy Robert Johnson, ou jusqu’où irions-nous par amour »
Balèze de Kiese Laymon, une histoire noire américaine
Adressant une lettre ouverte à sa mère, une femme avec laquelle il entretient une relation difficile teintée d’amour et d’hostilité, Kiese Laymon, écrivain états-unien né en 1974 traduit par Emmanuelle Aronson et Philippe Aronson, compose un mémoire important sur les difficultés rencontrées par les Noir·e·s dans la société américaine contemporaine. Il fait ici le vœu de proposer un récit où le mensonge n’a pas sa place – au grand désespoir de celle qui l’a élevé – ; et c’est avec une crudité sans pareille qu’il nous livre ses vérités sur son foyer familial, son éducation scolaire, ses expériences sexuelles-sentimentales, son rapport à la nourriture, son addiction au jeu et son éveil à la littérature. Balèze est de sorte une œuvre à caractère autobiographique riche donnant … Continuer la lecture de « Balèze de Kiese Laymon, une histoire noire américaine »
Trajectoire de femme : Journal illustré d’un combat d’Erin Williams, une expérience de femme
Dans son roman graphique intitulé Trajectoire de femme, un livre traduit de l’anglais par Carole Delporte, Erin Williams raconte son expérience de femme avec une voix intransigeante. Alors qu’elle présente ce qui constitue banalement son quotidien new-yorkais, elle se remémore avec précision son alcoolisme, ses relations désastreuses avec les hommes et sa maternité que l’on pourrait qualifier, dans une certaine mesure, de « salvatrice ». Un regard intransigeant Dès les premières planches de sa bande dessinée, Erin Williams nous plonge en pleine immersion dans son quotidien : ses lecteur·rice·s se trouvent ainsi spectateur·rice·s des lieux traversés, des personnes croisées et des actions menées par la scénariste-illustratrice lors d’une de ses journées classiques, notamment au moment où elle prend la route pour son travail. En ce sens, … Continuer la lecture de « Trajectoire de femme : Journal illustré d’un combat d’Erin Williams, une expérience de femme »
Sauvage de Jamey Bradbury, une adolescente sauvage
« On ne peut pas fuir la sauvagerie qu’on a en soi » nous déclare la protagoniste principale de Sauvage ; mais c’est pourtant ce à quoi la société semble continûment l’astreindre. La jeune femme s’interroge alors : comment vivre « différemment » sans négliger son être ? Peut-elle réellement échapper à ce qu’elle est profondément ? Que faire si son animalité est exposée en communauté ? Surtout, que signifie vraiment être humain·e ? Jamey Bradbury nous propose de réfléchir en même tant que son héroïne à ces questions à travers l’intrigue de son premier roman, une œuvre aux multiples genres traduite de l’anglais par Jacques Mailhos, une œuvre passant ainsi du thriller au roman psychologique, de l’horreur au merveilleux, du nature writing au fantastique. Une insolite rencontre Tracy Petrikoff, dix-sept ans, … Continuer la lecture de « Sauvage de Jamey Bradbury, une adolescente sauvage »
Affamée de Raven Leilani, une solitude à combler
Premier roman s’intéressant à la question du corps sous toutes ses coutures – qu’il s’agisse de désir sexuel, de contrôle, de pouvoir, de racisme, de beauté ou encore de mort –, Affamée n’épargne absolument personne. Son auteure, Raven Leilani, écrivaine états-unienne née en 1990, traduite ici par Nathalie Bru pour les éditions du Cherche Midi, offre une prose crue, ciselée, qui renferme en son sein quatre personnages tentant d’affronter leur solitude et trouver des solutions pragmatiques à leur quotidien imparfait. Une femme, un couple marié, une enfant Le roman de Raven Leilani commence in medias res alors que sa protagoniste principale, Edie, vingt-trois ans, afro-américaine travaillant dans le domaine de l’édition, assouvit sa « faim » : la jeune femme a une liaison sexuelle avec Eric, un homme … Continuer la lecture de « Affamée de Raven Leilani, une solitude à combler »