Dans son deuxième roman intitulé Nous, les Allemands, Alexander Starritt, traduit de l’anglais par Diane Meur, relate le parcours d’un ancien soldat allemand durant la Seconde Guerre mondiale. Il choisit pour ce faire d’imaginer la longue lettre qu’adresse cet homme d’âge mûr à son petit-fils de nationalité britannique afin de lui parler du « vrai courage », une lettre qui traite finalement de mémoire et culpabilité tout en décrivant les atrocités de la guerre, et confronte les notions de responsabilité individuelle et honte collective. Une mémoire oubliée Quand il entreprend l’écriture de sa lettre, Meissner n’a pas vu Callum depuis près de dix-sept mois. Il espère toutefois que son petit-fils n’est pas défait par leur dernière conversation : Callum a exprimé son désir d’« entendre [les] … Continuer la lecture de « Nous, les Allemands d’Alexander Starritt, un difficile rapport à l’Histoire »
Roman polyphonique
Un roman polyphonique est une fiction narrative dans laquelle la trame principale est racontée par la voix de deux ou plusieurs personnages. Chacun d’entre eux présente les faits à sa façon, selon son angle de vue particulier et ses traits de caractère : cela permet aux lecteur·rices de mieux appréhender la complexité des événements.
« The meeting of two personalities is like the contact of two chemical substances: if there is any reaction, both are transformed. » – Carl Gustav Jung
Point de fuite d’Elizabeth Brundage, entre ombres et lumières
Le « point de fuite », aussi connu sous l’expression anglophone vanishing point, est une méthode de composition employée en photographie qui vise à attirer l’œil vers un point précis de l’image. Ce point, paraissant de sorte en arrière-plan de la scène première, apporte de la perspective et de la profondeur à la prise de vue ; il est le lieu où convergent des lignes parallèles, dites « lignes de fuite », qui capturent l’attention. Elizabeth Brundage, traduite ici de l’anglais par Cécile Arnaud, choisit singulièrement d’employer ce procédé technique comme titre de son roman traitant de la disparition d’un homme. L’art de la photographie l’influence de fait dans ses choix d’écriture. Elizabeth Brundage définit en effet le cadre de son intrigue ainsi que ses « sujets », ses personnages, … Continuer la lecture de « Point de fuite d’Elizabeth Brundage, entre ombres et lumières »
Fille, femme, autre de Bernardine Evaristo, intersectionnalité et poésie
En son œuvre ambitieuse intitulée Fille, femme, autre, Bernardine Evaristo explore avec intelligence, éloquence et poésie les défis que la société d’aujourd’hui pose aux femmes ; aux Noir·e·s ; aux personnes non-binaires ; aux personnes appartenant à la communauté LGBTQIA ; aux personnes ayant connu l’exil, à leurs enfants natif·ve·s du pays d’adoption, aux générations suivantes ; et aux personnes à l’intersection de ces différentes catégories – notons par exemple une femme qui soit noire, lesbienne, pluriamoureuse, britannique mais dont le père est originaire du Ghana, comme Amma. Partant des expériences de vie de douze protagonistes, la romancière, ici traduite de l’anglais par Françoise Adelstain, traite des notions de race, de classe, d’immigration, de fracture sociale, d’orientation sexuelle et d’identité de genre, en opposant l’être dit « différent » … Continuer la lecture de « Fille, femme, autre de Bernardine Evaristo, intersectionnalité et poésie »
Mauvaises herbes de Dima Abdallah, s’épanouir dans l’adversité
Dima Abdallah est une écrivaine franco-libanaise née au Liban en 1977, installée en France dès 1989, l’année de ses douze ans. Son parcours singulier, terreau d’une culture métissée, n’est pas sans rappeler celui de l’héroïne principale de son premier roman intitulé Mauvaises herbes. La jeune fille, puis femme, que l’on suit de ses six ans à l’âge adulte, connaît les heures les plus sombres de son pays natal avant de s’envoler pour Paris elle aussi, laissant derrière elle son père. Un dialogue rompu Mauvaises herbes commence ainsi en 1983 à Beyrouth. La narratrice première de l’histoire est une fillette entourée de ses condisciples à l’école. Au loin, les détonations se font entendre : d’abord tout doucement, tel un bruit de fond ; puis … Continuer la lecture de « Mauvaises herbes de Dima Abdallah, s’épanouir dans l’adversité »
L’Enfant céleste de Maud Simonnot, ou l’unicité de l’être
S’il est dit qu’être « différent » est une force, il n’est pas moins vrai que cette singularité se révèle, à bien des égards, difficile à vivre au quotidien pour l’être concerné. Maud Simonnot, écrivaine française née en 1979, traite avec délicatesse de cette question dans son premier roman intitulé L’Enfant céleste, une parution des éditions de l’Observatoire. Elle choisit céans de montrer l’inconfort au monde d’une mère et son garçon de dix ans. Ces deux êtres sont du reste émerveillés par la trajectoire de vie de Tycho Brahe (1546-1601), astronome danois connu pour la grande précision de ses observations astronomiques. Une inadaptation au monde Maud Simonnot conte ainsi l’histoire de Mary et Célian, deux âmes que l’on découvre au moment où Pierre décide de … Continuer la lecture de « L’Enfant céleste de Maud Simonnot, ou l’unicité de l’être »
Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal, quelle liberté pour les femmes du Sahel ?
Femme de lettres, militante féministe et fondatrice de l’association Femmes du Sahel, Djaïli Amadou Amal est engagée corps et âme contre les discriminations très fortes que subissent les femmes de la ceinture sahélienne, notamment les femmes du Cameroun septentrional. L’écrivaine naît précisément dans cette région de l’Extrême-Nord du Cameroun et est mariée à l’âge de dix-sept ans à un homme politique qui utilise son pouvoir pour obtenir sa main. Elle épouse ce haut fonctionnaire quinquagénaire sans son consentement, sans celui même de son père, selon le bon vouloir de ses oncles. Libérée – des années plus tard – de cette situation inqualifiable, elle choisit de prendre sa plume pour décrire les conditions de vie des femmes mariées contre leur gré, … Continuer la lecture de « Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal, quelle liberté pour les femmes du Sahel ? »
Sous tes baisers d’Anne Goscinny, une passion dévorante
La passion est bien souvent associée au champ lexical du feu. On s’y brûle, l’être s’y consume, la flamme finit par s’éteindre. Il semblerait néanmoins qu’il soit impossible d’y résister. Anne Goscinny, écrivaine et critique littéraire française, étudie cette affection de l’âme au sein d’un roman paru en octobre 2017 aux éditions Grasset intitulé Sous tes baisers. Pour ce faire, elle compose une énonciation à la première personne du singulier, montrant le point de vue interne de ses protagonistes ; intensifie son propos en empruntant un air bien connu de la variété française ; et construit son texte de manière originale autour de références bibliques. Une relation passionnée Gabriel vient de perdre sa femme. Ce sexagénaire n’est toutefois ni attristé ni éploré : … Continuer la lecture de « Sous tes baisers d’Anne Goscinny, une passion dévorante »
Ne m’appelle pas Capitaine de Lyonel Trouillot, deux mondes dissonants en un même lieu
Dans un article de Joseph Chanoine Charles publié en 2011 dans Le Matin Haïti et intitulé Lyonel Trouillot : la littérature comme arme de combat[1], Lyonel Trouillot, écrivain, professeur de littérature et journaliste haïtien d’expression française et créole né en 1956, est dépeint comme ayant « grandi dans le milieu de la classe moyenne et vécu relativement protégé des laideurs des misères haïtiennes ». On découvre ainsi l’existence d’un gouffre social entre les classes aisées d’Haïti et la communauté locale la plus démunie. Intéressé par le possible dialogue de ces deux ensembles d’individus, Lyonel Trouillot compose en 2018 un texte au titre énigmatique pour les éditions Actes Sud. Ne m’appelle pas Capitaine, ainsi paru dans la collection « Domaine français » de cette maison d’édition, analyse … Continuer la lecture de « Ne m’appelle pas Capitaine de Lyonel Trouillot, deux mondes dissonants en un même lieu »
Les Méduses de Frédérique Clémençon, la vie dans ses moments difficiles
Frédérique Clémençon s’applique en son œuvre à décrypter la complexité des relations humaines, à montrer aussi l’irruption violente de l’imprévu dans un quotidien normé. Elle poursuit cette entreprise littéraire avec un roman intitulé Les Méduses, un roman publié chez Flammarion reprenant quelque peu la structure d’un recueil de nouvelles. Offrant là une énonciation à caractère polyphonique, elle conte des instants précis de la vie de huit personnages qui se croisent au détour d’un même hôpital : huit êtres de papier qui sont tous marqués par la perte humaine. Un regard sur la vie Frédérique Clémençon choisit un hôpital du sud de la Loire situé à trente kilomètres de la mer pour conter un moment d’extrême vulnérabilité de ses personnages. Les Méduses propose ainsi huit … Continuer la lecture de « Les Méduses de Frédérique Clémençon, la vie dans ses moments difficiles »
Umami de Laia Jufresa, un roman polyphonique sur le deuil et l’absence
Dans son premier roman intitulé Umami, Laia Jufresa, traduite par Margot Nguyen Béraud pour les éditions Buchet/Chastel, offre le récit de personnages éprouvés par la vie. Ces derniers ont la particularité d’habiter des logements dont le nom correspond aux saveurs détectables par la langue humaine, une spécificité que l’écrivaine emploie pour traiter des thèmes difficiles que sont la mort, la perte et l’absence. Une carte des saveurs atypique Laia Jufresa invite en effet ses lecteur·rice·s à découvrir le quotidien de personnages au passé douloureux installés dans une cour privée comprenant cinq habitations superposées sur la carte de la langue humaine. La disposition des maisons Acide, Amère, Salée, Sucrée et Umami est de sorte la même que celle des parties de la langue qui peuvent … Continuer la lecture de « Umami de Laia Jufresa, un roman polyphonique sur le deuil et l’absence »